Archives de catégorie : Textes

Go West ! (40)

Toute la L.A.’s Gate semblait me dire « C’est ici qu’on construit le monde ! C’est ici que ça se passe, mon vieux ! Ici, tout le monde est bronzé, tout le monde fait du sport, tout le monde travaille, tout le monde gagne de l’argent ! Alors ? Qu’est-ce que tu attends pour en faire autant ? »
Debout sous le soleil, les bras ballants au milieu de cette fourmilière bigarrée, pendant quelques instants, j’avais oublié Marylin. Mais la parenthèse insouciante s’est refermée quand sa voix est revenue : « Dans une heure, je serai morte. J’espère que Jack et Bobby pourriront en enfer. »

Oublier Marylin ! Je voudrais bien moi, mais comment faire ?

Marylin, Kennedy, Lawford, Clemmons… ces noms tournent dans ma tête. Et ces mots aussi « Dans une heure, je serai morte… je veux mourir parce que je ne veux plus passer ma vie à attendre… si tu continues à nous emmerder, tu vas en baver, ma cocotte ! … on aurait dit un gangster… que Jack et Bobby pourrissent en enfer ! » Et cette voix qui est enfermée dans ma poche…

Tout ça me dépasse. Je ne sais pas quoi faire. Je n’ose pas me demander ce qu’il faudrait faire ; je n’ose même pas poser le problème. Je n’ai plus envie de jouer, je ne veux plus être le privé redresseur de torts de la nuit dernière, je veux juste me retrouver avec cinq copains dans une Hudson à cinquante dollars sur la route de San Francisco. Je veux juste que rien de tout cela ne soit arrivé ; je n’ai pas aperçu Peter Lawford à travers une vitre de voiture de police, je n’ai pas ramassé le dictaphone, je n’ai jamais approché la maison de Marylin Monroe, je n’ai rien à voir avec tout ça.  Mais mon pauvre déni ne dure pas : j’ai vu Lawford, j’ai pris le dictaphone, j’ai écouté la cassette, Marylin est morte et je sais pourquoi. Je suis le seul à le savoir, le seul peut-être avec Peter Lawford.

A ce moment, me revient du fond de ma mémoire que Lawford Continuer la lecture de Go West ! (40)

Averses à La Flotte

Mercredi 3 avril : Pluie ininterrompue à La Flotte
par Lorenzo dell’Acqua

         Quand on ne joue ni aux cartes ni au scrabble, le mauvais temps à la mer oblige à se rabattre sur des activités solitaires. Cette semaine, j’ai lu un roman de Jean d’Ormesson dont le sous-titre aurait pu être : l’Eloge de la Futilité. Contrairement à ce qu’il dit avec une fausse modestie dont il est coutumier, ce livre ou plutôt cette autobiographie, Je dirai malgré tout que cette vie fut belle, est de loin son meilleur roman. Et il faut bien reconnaître que la réalité y dépasse la fiction. Cette constatation me perturbe un peu car il m’est devenu de plus en plus difficile de lire des ouvrages de fiction. Il me semble logique d’aimer les fictions quand on est jeune et que la vie s’offre à nous avec toutes ses possibilités. On y découvre alors les voies que l’on aimerait emprunter ou au contraire celles qui nous rebutent. Mais quand la vie est derrière nous, se plonger dans la fiction ne m’intéresse plus et me semble même absurde. A quoi revenir sur ce que nous n’avons pas réalisé ou su réaliser au cours de notre vie ? Aurais-je dû être un autre ? C’est le début de la dépression, à coup sûr !

         La lecture de ce livre de Jean d’O est troublante Continuer la lecture de Averses à La Flotte

Grand tourisme

Le poème qui suit a déjà été publié le 5 juillet 2018 sous le titre
 Les valises à roulettes.

Les achélèmes de Costa accostent au quai d’ Ostie.
Les réacteurs faciles encombrent da Vinci.
Le Grand Raccord Annulaire est pris en masse.
Les valises à roulettes ébranlent les pavés de Rome.

Couples âgés de touristes
cheveux blancs mais tenue de sport
ils sont encore en forme
et parcourent la ville en se tenant la main.

Touristes en troupeaux
derrière le parapluie rouge replié de leur guide
abrutis de fatigue, de pavés noirs et de culture
ils ingurgitent Auguste juste avant Michel-Ange
et confondent déjà le Colisée et le Capitole.

Jeunes gens en bandes, ou par deux Continuer la lecture de Grand tourisme

Go West ! (39)

(…)
« Santa Clarita, c’est bon pour toi ?
— C’est loin ?
— Environ trente miles vers le Nord.
— Formidable !
— Alors monte, mon gars ; on y va ! »
En démarrant, il ajoute : « Je suis Joe. Et toi ? ». Mais je ne réponds pas parce que sur le plancher, devant moi, il y a un journal. C’est le Los Angeles Times. J’ai les pieds dessus. On dirait une édition spéciale. Elle est pliée en deux, mais entre mes chaussures, je lis :
« MARYLIN MONROE DIES, BLAME PILLS »

C’est écrit en lettres capitales grasses. Le titre tient toute la page. Juste en dessous, on peut voir la partie haute d’une photographie. C’est un portrait. Il est coupé au niveau du front par la pliure du journal. On n’en voit qu’une chevelure blonde. Mais c’est bien elle ; c’est Marylin ! Et elle est morte. Pauvre fille, toujours si jolie, si innocente, si gaie dans ses films. En fermant les yeux, je la revois descendre cet escalier de « Sept ans de réflexion« , chanter dans ce wagon-lit de « Certains l’aiment chaud« . A l’instant, les mots qui me viennent à l’esprit pour la définir, c’est ‘’adorable… fragile’’… et maintenant ‘’morte’’. Comme je reste figé devant le journal, Joe me dit :
« Ah, tu as vu, Marylin est morte ! C’est triste, hein ? Une jolie fille comme ça ! »
—Je ne comprends pas « blame pills« . Qu’est que ça veut dire ? Continuer la lecture de Go West ! (39)

Go West ! (38)

Et puis partir au hasard de la bonne volonté des automobilistes, ça m’évitait temporairement d’avoir à choisir entre Seattle et Washington. Je verrais bien dans quelle direction le hasard m’entrainerait.
Comme je m’agitais sur mon matelas de carton pour rassembler mes affaires, je sentis quelque chose de dur dans une poche avant de mon jean. C’était le truc que j’avais ramassé sous la Rolls de Peter Lawford et que depuis, j’avais totalement oublié.

A peine plus long mais un peu plus étroit qu’un paquet de cigarettes, très compact, un peu lourd, avec sa petite fenêtre de plexiglass qui couvrait le logement de la cassette et son cordon tressé noir faisant office de gance, il dépassait à peine de ma main fermée. C’était un dictaphone de poche, en acier brossé gris, simple et élégant, le fruit de la technologie et du design allemands. Je le considérai tout d’abord avec hésitation, méfiance même, et puis je décidai d’écouter ce qu’il pouvait bien y avoir d’enregistré sur sa bande magnétique. Son maniement était simple et tout de suite j’ai entendu la voix. Elle disait : Continuer la lecture de Go West ! (38)

Go West ! (37)

(…) Et moi, j’ai fini de jouer mon rôle, je suis fatigué et je voudrais bien que tout ça s’arrête, parce que moi, je n’ai ni secrétaire ni voiture et il va falloir que je m’arrête pour souffler un peu, il va falloir que je dorme. Seulement pour le moment, je ne pense qu’à m’éloigner de l’officier de police Jack Clemmons, de sa voiture et de cette foutue maison.
Tout au long des années qui ont suivi ces événements, j’ai souvent repensé à cette nuit du 4 août 1962, forçant ma mémoire à revenir sur chaque détail. Depuis, j’ai lu, je crois, presque tous les livres et articles de presse qui y ont été consacrés et aujourd’hui, je me rends compte que je suis sans doute l’une des rares personnes vivantes à connaître la vérité. 

Voici donc ce qui est arrivé après que j’aie traversé la dernière propriété privée et me sois retrouvé à trainer mon sac sur Bondy Drive.

Au bout d’un temps infini, j’ai fini par passer devant un chantier où l’on construisait une de ces grandes villas faites entièrement de bois. Il était ouvert sur la rue et j’y entrai sans difficulté. Il devait être un peu avant minuit et le lendemain était un dimanche. Au moins, je ne risquais pas d’être surpris à l’aube par une équipe d’ouvriers. Pourtant, si la police se mettait à fouiller le quartier, elle ne manquerait pas de s’intéresser à ce chantier. Mais je n’y croyais pas vraiment. Pourquoi se lancerait-elle à la poursuite d’un type disparu dans la nature et dont le seul crime était, croyait-elle, d’avoir voulu acheter un policier pour 100 $ ? A Los Angeles, ça ne devait pas être si rare Continuer la lecture de Go West ! (37)

Go West ! (36)

(…) A droite, très reconnaissable, une Rolls-Royce, gris clair, énorme, décapotée. Sa plaque de Californie, noir sur fond blanc est bien visible : L-A-W-F-R-D. Aux USA, il est courant que les gens choisissent l’immatriculation de leur voiture en fonction de leur nom, de leur métier ou de leur hobby. Alors je cherche… LAWFRD, LAWFRD… ça doit vouloir dire quelque chose… ça veut surement dire quelque chose…et d’un coup, ça y est, j’ai compris : LAWFRD c’est pour LAWFORD et la Rolls, c’est la voiture du type en bermuda, et ce type, c’est Peter Lawford, le copain de Sinatra, le beau-frère de Kennedy… Incroyable ! Je viens de voir Peter Lawford !

Après tout, je suis à Los Angeles, tout près d’Hollywood et de Beverley Hills. Rencontrer un acteur de cinéma n’a rien d’exceptionnel. Mais quand même, qu’est-ce qu’il peut bien se passer dans cette maison ? J’ai entendu le mot suicide. Un suicide, ce n’est pas rien. On a dû appeler Clemmons pour faire les premières constatations, mais qu’est-ce que vient faire Lawford là-dedans ?  Et combien de temps Clemmons va-t-il me laisser seul dans sa voiture ? J’ai mon sac à côté de moi avec, dedans, mon foutu P .38. La voiture n’est pas fermée à clé. C’est peut-être le moment de ficher le camp. Je ne crois pas que le flic ait noté mon identité sur son carnet. Si je fichais le camp maintenant, il se souviendrait sûrement de ma nationalité, mais peut-être pas de mon nom. Le problème, c’est qu’il ne m’a pas rendu mon portefeuille. Je crois qu’il l’a posé Continuer la lecture de Go West ! (36)

Go West ! (35)

(…) Et voilà ! Pour la deuxième fois en trois semaines, je suis enfermé à l’arrière d’une voiture de police ! Je ne suis pas menotté, c’est un progrès, mais cette fois-ci, je sais pourquoi je suis là et ça n’a rien pour me rassurer.
Tandis que le policier fait marche arrière pour se dégager, ses phares balaient mes cinq camarades. Éblouis, ils ne peuvent surement pas me voir mais moi, je vois bien leur air inquiet, désemparé. Derrière eux, j’aperçois l’arrière de l’Hudson Hornet et, au-delà, un petit morceau de plage et d’Océan Pacifique. Je ne le sais pas encore mais je ne reverrai plus notre belle voiture à 50 dollars.

Le flic s’appelle Jack Clemmons ; il est sergent ; c’est ce que dit son badge.  Ce crétin croit que j’ai voulu l’acheter avec un billet de 100 dollars glissé dans mes papiers ! Mais c’est complètement fou, ce truc ! Mon billet, il n’était pas glissé dans le permis ! Il était gentiment plié en deux dans un des compartiments de ce foutu portefeuille ! Et il a bien vu que je lui avais donné le portefeuille parce que je n’arrivais pas à le sortir, ce foutu permis rose à trois volets à la con que le monde nous envie, coincé qu’il était dans son foutu triptyque en plastique. Il a bien dû s’en rendre compte, cet abruti, que je lui avais donné pour qu’il puisse le lire sans le sortir du plastique !  Mais non ! Si ça se trouve, il voulait me voler, ce flic ! Il a fouillé mon portefeuille pour le trouver, le billet ! Ou alors, il avait envie de s’amuser, et il a fait semblant de prendre ça pour une tentative de corruption. « Vous avez voulu acheter un officier de police ! » Acheter un officier de police ! Tu parles ! Il s’ennuyait, l’officier de police, c’est tout ! Faut dire qu’à dix heures du soir, contrôler une grosse voiture marron sale immatriculée en Arizona rôdant à quinze miles à l’heure dans Santa Monica avec six types à bord, une vielle Hudson qui hésitait, faisait demi-tour sur Ocean Boulevard, hésitait encore pour Continuer la lecture de Go West ! (35)

La Chrysler

Dans le cadre de mon retour sur moi-même, je veux dire sur le moi des années passées, voici encore une rediffusion de cet article déjà nostalgique quand je l’ai publié une première fois en 2017.

Chronique des années 90

10-La Chrysler

En fait, on ne l’appelait pas comme ça, mais ça sonne tellement bien « la Chrysler ». Ça fait tout de suite voiture de luxe, puissante, bicolore et sur-dessinée, glissant silencieusement dans les rues de Beverley Hills. Cette image doit me rester de cette chanson parodique de Fernand Raynaud qui commençait comme ça :
T’es un peu belle, mignonne,
T’es balancée comme une Chrysler…

Dans les années 90, l’automobile américaine était en crise. On n’était même pas certain que cette marque puisse passer le prochain hiver. Mais Chrysler commençait à commercialiser en France un mini van sur lequel elle fondait beaucoup d’espoir, le Voyager. Son nez très court qui lui donnait une gueule de petit camion, sa silhouette carrée qui rappelait de loin la Citroën Kubik de mon enfance dont j’ai déjà parlé ici, ses barres de toit qui lui donnaient un air randonneur… Tout cela me plaisait bien. D’ailleurs, il faudrait bientôt remplacer la Volvo qui avait fait son temps et qui de toute façon devenait trop petite : les enfants tenaient de plus en plus de place à l’arrière, sans parler d’Ena, notre labrador jaune de trente-trois kilos.

Avoir à conduire cette encombrante voiture Continuer la lecture de La Chrysler

Mais où sont les neiges d’antan ?

Ce poème nostalgique a été publié pour la première fois le 16 février 2017. Quand parfois je réalise qu’avec l’âge et le réchauffement climatique, le ski pour moi, c’est bel et bien fini, voilà que le spleen me reprend. 

TIGNES LE LAC

À Jean-Louis
À Patrick
À François

Vous souvenez-vous, mes amis,
Aujourd’hui devenus bien vieux,
Quand nous allions faire du ski,
O combien c’était merveilleux.

Nous partions de très bon matin,
C’est à dire vers neuf heures et demi
Tandis que je rongeais mon frein
A attendre ce bon vieux Jean-Louis.

Je dressais le programme du jour.
Jean-Louis finissait son loto.
Patrick et François, pleins d’humour,
M’app’laient aussitôt Bénito.

C’était bien souvent vers la Daille Continuer la lecture de Mais où sont les neiges d’antan ?