Archives mensuelles : janvier 2014

J’aurais voulu être un dandy

Couleur Café (2): Le Comptoir du Panthéon
25 juillet 2012
La rue Soufflot penche vers la droite. Le soleil est parfaitement dans son axe. Entre deux feux verts, la rue est calme devant le Comptoir du Panthéon. Sa terrasse, à l’ombre de son dais marron, est encore fraiche. Peu de monde. A ma droite un homme jeune manipule son iPad. Il écrit de temps en temps. A ma gauche, un jeune couple basané, venu des Indes ou du Pakistan, est en train de faire le bilan de sa découverte de Paris. Comme des tables vides nous séparent, personne ne gêne personne.
J’ai fini mon croissant, pas encore mon double café. J’ai lu trois pages du Côté de Guermantes, ce qui a épuisé mon stock de concentration disponible. Comme j’ai pris la précaution d’emporter un stylo et un bloc, je me mets à écrire.

Voilà ce que j’aurais aimé faire de ma vie : écrire à la terrasse d’un café. Mener une vie de dandy. Etre  Barbey d’Aurevilly et me préoccuper de ma prochaine canne ou de ma prochaine coupe de cheveux. Être  Frédéric Moreau, et hésiter toujours, ne s’engager jamais, trouver le peuple sublime et ne jamais s’y mêler. Pourtant, ces deux personnages, l’un réel et l’autre romanesque, me déplaisent tant par leur égoïsme évident, leur futilité apparente et leur incroyable sentiment de supériorité. Mais, dans une sorte de mise en abyme, je sais que je ne pense cela que parce que je ne suis pas un dandy, parce que je suis à l’extérieur de ces personnages, alors que si j’étais l’un d’eux, aveuglé par les défauts que je leur prête, je ne verrais rien de ces mauvais aspects du dandysme et coulerais de bien beaux jours.
Être un dandy. Une petite rente. Pas trop petite quand même, assez pour habiter le Quartier Latin et n’avoir pas d’autre occupation que manger un peu, boire un peu, écrire un peu, voir des amis un peu.
Nostalgie, regrets, apitoiement sur soi, signes d’âge.

Tout va bien.

La rue Soufflot penche à droite vers la Tour Eiffel. Le 89 monte vers le Panthéon. Quelques jeunes touristes, en short et sac à dos, bouteille de plastique à la main, redescendent de la Montagne vers le Luxembourg ou le MacDo. Quelques touristes moins jeunes, en short, Birkenstocks aux pieds et sueur au front, gravissent le trottoir, face au soleil, vers le monument.
Peu d’autochtones, pas d’étudiants. Quelques belles filles pourtant. Quelles belles filles ! Quelle belle ville ! Quelle belle vie !

Retour à Guermantes.

 

Philomena – Critique aisée (6)

Philomena
Film de Stephen Frears, avec Judi Dench et Steve Coogan

Je ne voulais pas y aller. Cette histoire d’enfant volé à une pauvre jeune fille, mère, irlandaise et catholique de surcroît, ne me disait rien qui vaille. En réalité, j’ai du mal à supporter physiquement et sentimentalement les histoires lamentables, pathétiques et mélodramatiques quand elles mettent en scène des enfants, surtout quand elles sont basées sur des faits véritables. Plutôt que d’endurer cela, j’aimerais encore mieux revoir le Django Unchained de Tarantino.
Donc, je ne voulais pas y aller…
Mais Stephen Frears, quand même! My Beautiful Laundrette, Les Liaisons Dangereuses, The Queen… (à propos, avez-vous vu Les Arnaqueurs, Mrs Henderson présente, Tamara Drewe ? Non? Ah, dommage!)
Et puis aussi Judi Dench, quand même! Chambre avec Vue, Mrs Henderson présente, Shakespeare in Love, Orgueil et Préjugés … (à propos, avez-vous vu The Best Exotic Marigold Hotel ?)
Et puis Sophie voulait…

Montparnasse, samedi matin, séance de 9 heures 15.
Au début des années cinquante, Philomena, irlandaise, seize ans, succombe au coin d’une fête foraine au charme d’un garçon de son âge. Quand son état de future mère est révélé, sa famille la place dans une institution où les bonnes sœurs prennent durement en charge les jeunes filles dans sa situation. L’enfant nait et grandit dans l’institution, à côté de sa mère qui a le droit de le voir une heure par jour. Vers l’âge de trois ans, Anthony est remis contre argent à une famille américaine qui l’emmène en Amérique pour l’adopter.
Le jour du cinquantième anniversaire de sa naissance, Philomena entreprend la recherche de son fils qu’elle n’a jamais revu. Elle fait appel à un journaliste-écrivain pour l’aider dans sa quête. Tout est dit, sauf la fin que je ne révèlerai pas.

Comment parler de ce film ?
Ce n’est pas une charge contre les pratiques scandaleuses de certaines institutions catholiques irlandaises. Ce n’est pas la peinture révoltée d’une époque et d’une société sans pitié envers les erreurs de jeunesse. Ce n’est pas la recherche douloureuse d’une mère angoissée depuis cinquante ans par la disparition de son enfant.

Non, ce film est un road movie tout ce qu’il y a de plus classique et de plus réussi. C’est la rencontre attendue et réjouissante de deux caractères que tout oppose. C’est la succession tranquille de deux ou trois rebondissements. C’est l’alternance subtile de moments d’émotion retenue et d’humour distancié. C’est une fin apaisée, sans désespoir ni réel happy-end.
C’est tout sauf le mélodrame auquel on pouvait s’attendre, auquel je m’attendais, à la lecture du pitch. C’est un excellent film.

Philomena, infirmière retraitée, est sans haine, presque sans inquiétude. Elle est simplement et calmement obstinée. Presque totalement dénuée d’humour, elle est pourtant drôle et souvent gaie. Philomena, c’est Judi Dench, quatre-vingts ans à l’hiver prochain, magnifique, solide, touchante, et parfois même, belle. Parfaite. On penserait à Simone Signoret ou Jeanne Moreau dans leur grand âge si elles avaient été capables de jouer dans des comédies.
Lui, c’est Steve Coogan, trente ans de moins. Il  incarne avec beaucoup d’élégance ce journaliste-écrivain, membre du Tout-Londres en disgrâce, ne parlant, ne vivant qu’au deuxième degré comme tout britannique bien élevé sortant de « Oxbridge ». Deuxième degré qui fondra au cours de l’enquête plus vite que la sérénité de Philomena lorsque sera révélée la duplicité finale des sœurs.

C’est du cinéma de grande qualité, sans emphase ni prétention, ni manichéisme, mais drôle, émouvant, parfaitement réalisé et joué. So british.