Archives mensuelles : mai 2014

Imagine un peu ! Critique aisée 21

Institut Imagine, 24 boulevard du Montparnasse, site de l’hôpital Necker-Enfants malades.

Ca fait maintenant une vingtaine de minutes que je rode auprès du bâtiment en cherchant à  m’approcher de l’une de ses façades. La construction qui m’intrigue occupe une bonne longueur du côté pair du Boulevard du Montparnasse mais ne présente aucune entrée ni ouverture de ce côté. De plus, une grille empêche d’approcher la façade. Ça m’ennuie parce que j’ai repéré sur cet immeuble une chose étrange que je voudrais bien vérifier.

Cet immeuble imposant a été achevé il y a quelques mois. La longue et haute façade –peut-être  huit étages- est entièrement constituée de panneaux de verre. Certains sont gris et opaques et d’autres transparents. Sans doute pour égayer ce lugubre damier, la façade ne s’inscrit pas dans un seul plan, mais dans quatre plans d’inclinaisons différentes. Au milieu de ce quartier d’immeubles haussmannien et de constructions parisiennes plus anciennes, c’est du plus bel effet. Bon, mais des immeubles officiels lourdingues avec du verre en façade pour seule originalité, on commence à en avoir l’habitude.
Imagine 1
Je n’ai donc fait que bougonner un petit peu quand j’ai vu cet immeuble hors d’eau, et j’ai attribué aux aléas du chantier les traces blanchâtres qui affectaient une bonne partie des panneaux de façade.
Le temps passant sans que le nettoyage ne se fasse, j’ai dû changer d’hypothèse : ce qui paraissait des salissures devait en fait provenir de malfaçons, du genre condensation dans les doubles vitrages ou bullage du film anti-UV. On en aurait pour des années avant que le litige ne soit réglé.

Et puis, la semaine dernière, alors que je remontais à pied le boulevard, que je disposais de temps et d’un appareil photo, j’ai décidé d’en avoir le cœur net. La façade sur boulevard s’avérant impénétrable, j’ai longé celle de  la rue du Cherche-Midi, plus sagement verticale mais tout aussi grande et affectée des mêmes désordres.
Imagine 2
La vue d’une nacelle m’a confirmé dans ma dernière hypothèse : on était en train de procéder à des examens ou même des essais de remplacement.
Je finis par trouver une entrée qui semble de service et je pénètre en hésitant dans l’enceinte. Elégant manteau noir flottant au vent, attaché case ultra plat, téléphone collé à l’oreille, un homme jeune et pressé me dépasse :

Tu te rends compte, ce truc a couté des millions d’euros et on est déjà en train de changer les vitres. C’est vraiment un scandale ! Y a des espèces de trainées blanches, un défaut dans le verre ou quoi, je ne sais pas…

Je me dis que ce jeune homme affairé ne connaît pas la vie, que les malfaçons dans les façades modernes, c’est regrettable, mais que c’est courant et qu’on finira bien par régler ce problème…
Pendant que j’agitais ces pensées pleines de l’indulgence qui découle tout naturellement de l’expérience, je me suis approché de la façade jusqu’à la toucher et j’ai vu ce qui pour les non-initiés, c’est-à-dire vraisemblablement pour 97,5% des passants du boulevard, restera des salissures jusqu’à ce que quelqu’un les détrompe, comme je vais le faire maintenant : ces salissures ineffaçables, ces bullages malvenus, ces malfaçons regrettables sont en fait des pixels sérigraphiés, c’est-à-dire, en clair et en l’occurrence, des petits carrés blancs, d’environ un millimètre de côté, imprimés sur la surface du verre dans un désordre apparent qui ne doit certainement rien au hasard.
Imagine 3
Tout cela a donc été voulu, conçu, défini, calculé, réalisé, installé, réceptionné, payé et admiré par ceux-là même qui l’avaient voulu, conçu, défini, calculé, réalisé, installé, réceptionné, et payé. Et, à moins d’une malfaçon sur laquelle on ne peut tout de même pas compter, tout cela va durer et cet énorme  bâtiment disgracieux sera pour l’éternité mal lavé.

De retour chez moi, c’est à dire de retour devant Google, je me suis renseigné. Et voici le résultat de mes recherches.
Ce bâtiment tout neuf est inclus dans l’enceinte de l’Hôpital des Enfants Malades. Il abrite un centre de recherche et de traitement des maladies génétiques. Sur le plan architectural, nous le devons à deux cabinets différents: Valero-Gadan et Ateliers Jean Nouvel.

Il n’est pas question ici de critiquer ou même d’émettre un avis sur l’organisation architecturale interne de cet Institut. Mais je voudrais bien savoir quel est, entre ces deux architectes, le concepteur de ce parti de façades délavées. Mes recherches, peu approfondies je l’avoue, ne m’ont pas permis de le déterminer, ce qui ne m’empêche pas de soupçonner fortement Monsieur Nouvel. Nous devons à cet architecte quelques belles réalisations, la Fondation Cartier à Paris, le Musée du Quai Branly, et pour la plupart des gens, l’Institut du Monde Arabe. Malheureusement, nous lui devons aussi le centre commercial Euralille (la première fois que je l’ai vu, j’ai éclaté de rire tellement l’une de ses tours ressemble à un énorme flipper-billard-électrique), la tour Agbar à Barcelone, l’immeuble Burj à Doha…Quant à la Philharmonie de Paris, pour juger de ce projet, on devra attendre encore quelques temps qu’il ait fini de ruiner Paris, tant le chantier a pris de retard et supporté d’augmentations de coût.

Depuis quelques années, la marque de Jean Nouvel, c’est le verre. Il faut reconnaître qu’il n’est pas le seul à être tombé dans cette facilité. Du verre, encore du verre, toujours du verre, du verre coloré, du verre sérigraphié, du verre incrusté de mécanismes, du verre pour faire joli, du verre pour impressionner, du verre pour cacher les formes, parfois pour pallier le manque d’imagination.

Revenons à Imagine. Voici ce qu’on pouvait lire dans la description du projet :

« L’angle du boulevard du Montparnasse et de la rue du Cherche Midi est on ne peut plus parisien. Nous l’aimerions hospitalier dans le double sens du mot.

Et on ajoute :

:«….Privilégiant le verre et les matériaux naturels, s’intégrant parfaitement dans le paysage urbain, le futur Institut Imagine sera également doté de plusieurs jardins, dont un extérieur ouvert au public. Les façades seront agrémentées de verre sérigraphié rappelant une séquence ADN, illustrant ainsi de manière symbolique la raison d’être de cet Institut des Maladies Génétiques… »

Pour ce qui est de s’intégrer dans le paysage urbain, par sa masse, son aspect et sa forme, ça, on peut dire qu’il s’intègre !

Pour ce qui est de la fine allusion à l’ADN, on peut penser qu’elle n’aura échappé à personne, sauf à la totalité des passants du boulevard.

 

 

J’ai dix ans (Chap.4)

4-Sur la passerelle

Au-dessus de la maison, le ciel est encore gris clair, mais devant moi, il prend des couleurs qui me remplissent d’impatience. C’est comme quand je verse de  l’encre Waterman dans l’eau du lavabo. Il n’y a plus de vent. Tout est silencieux. Encore une lueur muette, puis un doux grondement, qui semble très haut ou très loin.

Première bourrasque. La poussière et les feuilles tombées dans les allées tourbillonnent au sol puis s’envolent. Les poules ont cessé leur caquetage et commencé à courir en rond en baissant la tête. Le vent cesse à nouveau.

Enfin, un éclair! Ce n’est pas encore un vrai, comme j’aime, avec un tracé zigzaguant comme celui que j’ai vu tomber dans la mer un soir depuis la salle de restaurant de l’hôtel des Tamaris. Non, seulement une très forte clarté, dont on ne sait ni d’où elle vient ni où elle va. Et puis, deux secondes plus tard, un craquement formidable, sec, suivi de longs roulements qui vont en s’affaiblissant. Ce coup de tonnerre m’a fait sursauter d’au moins cinq centimètres, le souffle coupé,  le corps raidi et les mains crispées sur le garde-corps de la terrasse. Je n’avais jamais rien entendu d’aussi puissant. Je n’arrête pas de répéter tout haut: « Hé ben mon vieux! Hé ben mon vieux! Hé ben mon vieux! ».

Le vent a un peu repris. Le ciel est bleu marine, presque noir. Et d’un seul coup, la pluie, énorme, comme si, là-haut, quelqu’un avait renversé une gigantesque bassine. Les poules, complètement affolées, ne courent plus en rond mais dans tous les sens en criant et se cognant entre elles et contre les grillages. Je me réfugie sous la petite marquise qui protège la porte d’entrée. Je suis en principe à l’abri, mais la pluie rebondit sur le ciment et asperge mes sandales, mes chaussettes et mes genoux. Heureusement que je suis en culotte courte…Parfois, des rafales viennent appliquer la pluie sur ma chemise. Je commence sûrement à avoir un peu froid, mais l’excitation m’empêche de m’en rendre compte, et de toute façon, je ne vais pas rater ce spectacle pour aller chercher un chandail ou un anorak. Et puis Madeleine et monsieur Levallois sont visiblement occupés ou à l’abri quelque part et personne n’est là pour me dire de « rentrer tout de suite à l’abri, non mais sans blague! »

Maintenant, après cette entrée fracassante, l’orage est vraiment là. Un nouvel éclair dessine en contraste un gros nuage noir sur fond blanc. Cette fois ci, le tonnerre est arrivé tout de suite, mais je ne me suis pas laissé surprendre. Je l’attendais, et je l’ai dégusté de son début jusqu’à sa fin. Ce n’est plus un craquement sec, mais un colossal braoum voluptueux qui se déroule et rebondit.
D’autres éclairs, d’autres braoum, tous différents dans leur puissance, leur durée, leur façon de moduler puis de mourir…

Ça y est, je l’ai vu, le vrai, celui que j’attendais. Quelle chance! Je regardais sur la gauche, vers la crête de la colline. Et justement, c’est là qu’il est venu, l’éclair exemplaire, celui qu’on dessine dans les illustrés, zigzagant entre le noir des nuages et le vert foncé de la colline. Il a tout révélé, les arbres, les toits, les pylônes qu’on ne voyait plus depuis le début de la tempête. Il est resté un court instant, vibrant dans l’air, presque vertical, et puis son image a commencé à disparaître au moment où son tonnerre commençait à se faire entendre.

-Hé ben mon vieux! Hé ben mon vieux!

Trempé et frissonnant, rencogné contre la porte, je suis sur le qui-vive, regardant partout, attentif à ne pas rater le prochain éclair. Sur ma passerelle, je suis un capitaine dans la tempête. Devant mon pupitre, je suis le chef d’un orchestre grandiose.
Pendant que les coups de tonnerre succèdent aux éclairs, l’énorme chuintement de la pluie qui tombe maintenant à la verticale ne fait qu’augmenter. On dirait le bruit d’un poste de radio à son volume maximum réglé entre Paris-Inter et Radio-Luxembourg.
Et puis, le bruit change. Isolés dans le chuintement continu de la pluie, on entend d’abord des tac, tac, dans une note plus ou moins grave, d’abord espacés puis sur un rythme qui s’accélère jusqu’à être collés les uns aux autres. C’est chaque grêlon qui sonne différemment selon ce  qu’il frappe, ciment, gravier, tôle ou tuile. Il fait nuit noire. La grêle forcit encore et le vacarme devient infernal. Petit à petit, les tac, tac s’espacent et disparaissent. La grêle a cessé et avec elle, la pluie. L’orage est passé maintenant derrière la maison et les rares éclairs projettent son ombre sur le potager. Les grondements se décalent et s’affaiblissent. La couleur du ciel change et tourne au gris. Le jour revient avec le calme. Un dernier grondement dans le lointain. L’orage est sur Lisors.
Orage(à suivre)

Publication des deux derniers chapitres: le 1er juin

Voir aussi « J’ai dix ans » texte intégral

J’ai dix ans (Chap.3)

3-Un petit livre vert

Devant ce premier contact raté, Madeleine ne sait plus trop quoi faire de moi. Elle me raccompagne à ma chambre et me demande de trouver pour m’occuper, car elle doit faire ceci ou cela, un livre dans la petite bibliothèque  en faux acajou qui est fixée au-dessus du lit. Je ne suis pas un grand lecteur, je préfère les Dinky Toys, mais je fais semblant de m’intéresser aux livres pour pouvoir rester un peu tranquille.
Une fois seul, je tourne dans la chambre à la recherche de quelque chose à faire. Une chaise basse, une petite table sur trépied avec un crapaud en fonte la gueule ouverte posé sur un napperon en dentelle, ma valise pas encore défaite. La fenêtre a été ménagée dans la pente du toit qui forme le plafond de la chambre. Même en montant sur le lit, on ne voit rien d’autre que le ciel. Puisque je suis debout sur le lit, je reviens à la bibliothèque et j’examine le dos des livres bien rangés. Quelques centimètres de dos verts, quelques centimètres de dos roses, quelques centimètres de dos multicolores. Je découvre d’un coup la Bibliothèque Verte, la Bibliothèque Rose et le reste de l’édition française. Je prends quelques livres au hasard, les feuillette, cherche des images, lis parfois quelques lignes. Je finis par en prendre un,  un vert car j’ai compris que les roses, c’est plutôt pour les filles, et je l’ouvre à la première page:

« Chapitre 1. La piste de la viande.

De chaque côté du fleuve glacé, l’immense forêt de sapins s’allongeait, sombre et comme menaçante. »

Je me laisse tomber assis sur le lit.

« Les arbres, débarrassés par un vent récent de leur blanc manteau de givre, semblaient s’accouder les uns sur les autres, noirs et fatidiques dans le jour qui pâlissait. « 

Fatidiques ?

« La terre n’était qu’une désolation infinie et sans vie, où rien ne bougeait, et elle était si froide, si abandonnée… »

Dehors, un éclair. Je regarde la fenêtre. Un long roulement de tonnerre. Je lance le livre à l’autre bout de la chambre, je saute du lit, descend l’escalier à toute vitesse, traverse le couloir, ouvre la porte et me retrouve sur la terrasse. C’est un orage. J’ai toujours aimé les orages. C’est un spectacle grandiose que, dans nos régions, la nature ne nous offre pas assez souvent et dont il faut profiter. Debout sur la terrasse, les jambes un peu écartées, les deux mains accrochées à la balustrade, je fais face à la tempête qui approche. J’aime les orages, je vais être servi.
(à suivre)

Publication du Chapitre 4: le 26 mai

Voir aussi « J’ai dix ans » texte intégral