Morceau choisi
…D’abord de l’ironie. Ne vous laissez pas dominer par elle, surtout à vos heures de sécheresse. Dans les moments créateurs efforcez-vous de vous en servir comme d’un moyen de plus pour saisir la vie. Employée pure, elle aussi est pure ; il ne faut pas en avoir honte. Si vous vous sentez trop de penchant pour elle, si vous redoutez avec elle une intimité́ grandissante, tournez-vous vers de grandes et graves choses, en face desquelles elle devienne petite et comme perdue. Gagnez les profondeurs : l’ironie n’y descend pas. Si elle vous accompagne jusqu’aux bords de la grandeur, cherchez si elle répond à une nécessité de votre être. Sous l’action des choses graves, ou bien elle se détachera de vous (c’est qu’elle n’était là que par accident), ou, vous étant vraiment innée, elle se forgera elle- même en instrument précieux et prendra sa place dans l’ensemble des moyens dont vous devez former votre art.
Rainer Maria Rilke. Lettres à un jeune poète