The Big Bang Theory – Critique aisée n°117

Critique aisée n°117

Autrefois, nous autres critiques, nous n’aimions pas beaucoup parler de télévision. Le cinéma n’étant lui-même que le 7ème art, alors la télévision, vous pensez ! Et s’il fallait absolument parler de télévision, nous disions « Ah ! Apostrophes ! »,  « Oh ! Thalassa ! », Eh ! Les Dossiers de l’écran ! » Mais jamais nous ne parlions de séries. D’ailleurs, nous disions plutôt feuilleton, nous nous moquions de Thierry la Fronde et des Feux de l’Amour et nous regrettions les séances tardives du Cinéma de minuit. Nous prenions la plume avec ironie pour démolir les lourdes tentatives de José Dayan avec ses remakes des Rois Maudits et du Comte de Monte-Christo. Mais  un moment est arrivé où il a bien fallu parler des feuilletons de Nina Companeez (Les Dames de la côte, A la Recherche du temps perdu) car ça, vraiment, c’était du cinéma. Et pendant ce temps, s’infiltraient petit à petit dans nos postes de  télévision les séries américaines. Ça avait commencé il y a longtemps avec Au nom de la loi, Happy Days et Les Incorruptibles… Puis étaient venus Friends et Seinfeld. Avec Urgence, une étape était franchie, grâce la qualité du script, de la réalisation et des comédiens. On commençait, dans les diners germanopratins, à pouvoir parler sans honte des séries américaines. On en parlait d’abord avec condescendance, puis avec un intérêt que l’on prenait soin de déguiser d’une candeur affectée. Mais nous, les critiques, nous n’en parlions jamais.

Et puis, en quelques années, une avalanche de séries américaines a submergé les écrans ; des bonnes, Les Sopranos, The Wire, House of Cards, Band of Brothers… ; des moins bonnes, The L.A. Law, Doctor House, et des mauvaises, Les Experts, NCIS, etc… Dans la foulée, s’y sont mis aussi les Anglais, avec du très bon, The Hour, Downton Abbey, et du bon, Luther, et les Français, avec les excellents Engrenages et Le bureau des légendes, les très bons Dix pour cent et Kaboul Kitchen  et les passables, Braquo. Même les Danois, Suédois, Norvégiens s’y sont mis, tandis que les Allemands ne se remettent toujours pas de la mort de Derrick.

Le sujet étant désormais de société, je me suis senti autorisé à vous parler des séries en général — c’est d’ailleurs ce que je viens de faire dans les deux paragraphes précédents — et d’une série en particulier : The Big Bang Theory.

Pour les séries, ce n’est pas comme pour les films, on se fiche du réalisateur et, presque toujours, du nom des comédiens. Alors, on saute.

Ce qui est important dans une série de ce type, ce qui fait qu’on s’y sent bien, comme chez soi, c’est que le thème, le cadre et les personnages ne changent pas, ou alors le moins possible. Alors, voilà :

Le thème de Big Bang Theory, c’est, racontée sur le mode exclusivement comico-sentimental, la vie irréelle et quotidienne d’une demi-douzaine de jeunes gens vivant en Californie, dans le voisinage de l’Université de Pasadena. On y raconte principalement leurs histoires de cœur, leurs amitiés, leurs frustrations, leurs jeux, leurs réussites, leurs déceptions… Il y a des garçons et des filles. Ils parlent tout le temps. Leurs réparties sont émaillées de sarcasmes, d’allusions scientifiques et de références au monde des super-héros des comic-books.

Presque toute l’action se passe dans deux appartements et sur le palier qui les sépare, au quatrième étage d’un immeuble dont l’ascenseur est éternellement en panne. On ne sort que très peu, et quand on le fait, c’est toujours dans des lieux fermés, impersonnels, à la limite du confinement (cantine d’université, banal restaurant, intérieur d’une voiture…).

Voilà pour le thème et le cadre. Les personnages, maintenant :

Il y a d’abord Sheldon Cooper.
Sheldon a une trentaine d’années, il est Docteur en Physique, chercheur en physique théorique, et habillé comme un adolescent. Il est aussi tout à fait surdoué et conscient de l’être. Il est également atteint du syndrome d’Asperger qui, je crois, est une forme d’autisme. Sheldon Copoper est totalement hermétique au second degré et ne sait donc pas reconnaitre les sarcasmes. Il ne tient aucun compte des sentiments des autres et dit instantanément tout ce qu’il pense sans tenir aucun compte de la susceptibilité de ses interlocuteurs. Il précise régulièrement qu’il n’est « pas fou puisque (sa) mère lui a fait passer un test« . Ses blagues, rares, ne font rire personne. Voici sa préférée :

Heisenberg (1) est au volant de sa voiture. Il est contrôlé en excès de vitesse.
Le policier :  « Savez-vous que votre vitesse a été mesurée à 146,6 kilomètres à l’heure ? »
Heisenberg :   « Ah ! C’est malin ! Maintenant, je ne sais plus où je suis ! »

Pour apprécier cette chute, il n’est pas honteux que vous ayez à vous reporter à la Note 1 ci-dessous :

Note 1 : Werner Heisenberg, (1901-1976), physicien allemand, co-fondateur de la mécanique quantique, prix Nobel de physique en 1932. Il est surtout connu du public pour son principe d’incertitude qui énonce que toute amélioration de la précision de mesure de la vitesse d’une particule se traduit par une moindre précision de la mesure de sa position. J’ai brillamment vulgarisé cet ânerie scientifique dans l’article que vous pourrez relire en CLIQUANT ICI.

Leonard Hofstadter
Egalement Docteur en Physique, et chercheur à l’Université de Pasadena, Leonard Hofstadter est diplômé de Princeton. Il vit en colocation avec Sheldon. Il le considère et agit comme son meilleur ami. Mais le caractère insupportable de Sheldon l’exaspère souvent, et il se soulage en lançant des sarcasmes à l’attention de Sheldon que celui-ci ne comprend absolument pas. Sur le plan sentimental, Leonard est complexé, car il beaucoup de mal à nouer des relations sentimentales et sexuelles avec les femmes. Dès sa première rencontre avec Penny, il tombe sous le coup de son charme mais il mettra, par sa seule maladresse, plusieurs « saisons » à la séduire. Son complexe est expliqué par la personnalité glaciale de sa mère, neuropsychiatre, qui le méprise ouvertement.
Un exemple de sarcasme de Leonard à Sheldon :
­—Par moments, tes mouvements semblent si naturels que j’en oublie que tu n’es pas un vrai humain.

Howard Wolowitz
Contrairement à Sheldon et Leonard, Howard n’est pas docteur en physique, il n’est qu’ingénieur en aérospatiale, ce qui lui vaut de fréquentes réflexions méprisantes de la part de Sheldon. Il est toujours drôlement habillé de vêtements collants et colorés, il est plus fort que Leonard pour les sarcasmes. Un exemple :
Sheldon : —Sheldon Cooper ne pleure pas.
Howard : —C’est vrai, il rouillerait
Il est juif et vit chez sa mère tout en étant en conflit permanent avec elle. On l’entend hurler de temps en temps mais on ne la voit jamais. Son meilleur ami est Raj (Rajesh Koothrappali). Howard est surtout un frustré du sexe, car il n’arrive pas à ses fins avec les filles, bien qu’il soit perpétuellement en chasse, de manière plutôt lourde et insistante. Ses réparties sont souvent très drôles.

Rajesh Koothrappali
Raj est Docteur en Astrophysique. Il est de nationalité indienne. Lui non plus n’a pas beaucoup de succès avec les filles. Cela s’explique entre autres par le fait qu’il est incapable d’exprimer un son quand il est en présence d’une femme, sauf s’il a bu de l’alcool. Comme ses amis Leonard et Howard, il pratique volontiers le sarcasme. Mais il aime aussi se faire plaindre en jouant sur le côté pauvre étranger menacé d’expulsion, alors qu’il travaille à CalTech et que son père est un riche gynécologue de Bombay. Un exemple de dialogue avec Raj :
Raj: —Je suis désolé d’être en retard, j’étais au téléphone avec ma mère.
Bernadette: — Comment va-t-elle
Raj: — Pas mal. Elle a acheté le livre « Mange, prie, aime » et s’en est servie pour mettre le feu à la Mercedes de mon père.

Penny
Elle n’a pas de nom de famille. C’est une jolie fille, simple, joyeuse et gentille. Elle est venue de sa province pour devenir actrice à Hollywood. Elle travaille comme serveuse dans un restaurant où vont Leonard et ses amis. Elle a continuellement des problèmes financiers. Elle boit pas mal et a eu des tas de boy-friends, plutôt des joueurs de football que des docteurs en physique. Elle emménage dans l’appartement qui fait face à celui de Sheldon et Leonard. Elle y vit dans un grand désordre qui exaspère Sheldon. Elle sera rapidement intégrée dans le cercle des amis de Leonard. Elle ne comprend rien à la physique ni à la passion commune des comic-books qui réunit les quatre garçons. Elle deviendra la petite amie, puis la femme de Léonard, mais ça prendra du temps. De temps en temps, elle manie aussi le sarcasme :
Sheldon: — Amy est en colère contre moi, et je ne comprends pas pourquoi.
Penny: — Voyons, avant qu’elle ne se mette en colère, vous étiez en train de parler ?
Sheldon:  — Oui
Penny: — Alors, c’est probablement pour ça.

Cette série me fait rire, parfois aux éclats. Essayez-là donc.

ET DEMAIN, PEUT-ETRE RIREZ-VOUS AUSSI A CE NOUVEAU BIDON DE L’ART 

3 réflexions sur « The Big Bang Theory – Critique aisée n°117 »

  1. Pourquoi ce mode de vie est-il forcément « irréel »? Parce que ce n’est pas le tien?

    Mon fils, qui a eu 25 ans hier, a exactement le même mode de vie, joue aux jeux vidéo tous les jours, se passionne pour The Walking Dead, et a fait la fête pour Halloween, comme tant d’autres.
    Comme tant d’autres également, Sam est inadapté socialement, et ces jeux, comme ces passions adolescentes, sont un moyen d’échapper à la réalité. Et, comme beaucoup de jeunes adultes dans le même cas, il n’a pas d’enfants, donc peut se concentrer sur son plaisir et ses envies plutôt que ceux d’un autre être.

    Je travaille en ce moment de très près avec deux ex-élèves à moi, dont l’un a le syndrome d’Asperger. Tous deux me font énormément penser à Sheldon et Léonard, dont les vies semblent calquées sur le même modèle que le leur.

    Le fait que ce modèle soit éloigné de celui que tu connais et accepte n’en fait pas un modèle irréel.
    Il est au contraire de plus en plus courant, dans ce monde où le plaisir et la gratification personnelle tiennent une place prépondérante que nos puritains ancêtres eussent fortement désapprouvée.

    PS: le gérant du magasin de comics se nomme Stuart.

  2. Tu as raison, Rebecca, ma critique n’en est pas une. Elle ressemble à une critique du New Yorker en ceci qu’elle se limite à citer quelques intervenants et à raconter le sujet. Critiquer une série est un exercice différent de la critique d’un film. Je n’ose pas dire qu’il y a le même genre de différence qu’entre critiquer l’œuvre d’un romancier et citiquer l’un de ses romans. Non, finalement, je n’ose pas.
    Après avoir présenté le type de série qu’est le BBT, ainsi que son type d’humour, je dis quand même à la fin que j’aime beaucoup cette série. Les lecteurs sont donc un peu avertis sur ce qu’ils verront s’ils me suivent.
    Je profite de cette extension pour parler de deux personnages plus récents : Amy et Bernadette, excellents personnages, forts dans leur caractères, et droles dans leur comportement. Il y a aussi un personnage dont je n’ai pas le nom en tête à cet instant, le propriétaire du magasin de Comic books, mou, dépressif et résigné à souhait.
    Je maintiens quand même que leur vie est irréelle, aseptisée et presque abstraite, car il faut bien dire qu’à la trentaine, leurs principaux problèmes, à part vivre avec leurs complexes et frustrations, c’est d’obtenir des places pour le prochain « comic con » ou de choisir leur déguisement pour la prochaine Halloween.

  3. Je suis depuis plusieurs années une adepte inconditionnelle de The Big Bang Theory.
    Leurs remarques sarcastiques ou ironiques sont un régal. Mais le plus jouissif est le décalage entre le génie de Sheldon et son impossibilité à fonctionner en société, à cause de son syndrome d’Asperger: manque de discernement concernant la politesse et les conventions sociales, honnêteté absolue dans ses propos même si cela peut être blessant, incompréhension de l’humour et du second degré… Sheldon est un genre d’extra-terrestre posé sur Terre par hasard, et vivant dans un flou social surprenant.

    Tu as mentionné leurs « vies irréelles ». Néanmoins, je trouve que la vie qu’ils jouent est beaucoup plus réaliste que dans la plupart des séries, dans lesquelles tout le monde a une maison impeccable sans jamais faire le ménage. Ici, tu vois le caractère de chacun à travers son approche à la vie de tous les jours, de Horowitz toujours infantilisé par sa mère castratrice à Penny, qui bosse dur pour s’en sortir mais manque toujours d’argent, et de Sheldon le maniaque obsessif compulsif à Raj qui, par peur des femmes, vit seul avec son chien et ses fantasmes.
    Les détails sont très bien pensés par les scénaristes. Par exemple, Sheldon, ayant toutes sortes de tocs, ne supporte pas les habits jetés partout, la vaisselle non faite, les verres qui traînent, et va jusqu’à entrer chez Penny la nuit pour ranger, tant la vue du « foutoir » de cette dernière l’indispose.
    De même avec les scènes qui ont lieu dans la lingerie. Penny plie ses T-shirts comme ses torchons, en quatre. Léonard plie vite, en laissant des plis. Sheldon fait cela mathématiquement.

    Le groupe d’hommes peut être qualifié d’adulescents, terme qui a fait son apparition à la fin du XXème siècle, et désignant des adultes toujours passionnés par ce que l’on attribue aux ados: séries, jeux vidéos, comics etc. Entre Sheldon qui parle couramment le Klingon (langue dans Star Trek) à Léonard qui se passionne pour les jeux vidéos, entre les après-midi au magasin de comics et les samedi soirs devant la télé ou à jouer aux jeux vidéos, ces quatre-là sont des adulescents type.
    Parmi les filles, seule Penny n’a pas de diplôme, mais toutes ont les pieds sur terre.

    Chaque aspect de leur vie quotidienne donne ainsi lieu à des scènes cocasses, souvent hilarantes, très bien jouées.
    Pas étonnant que, sur les 5 acteurs de séries les mieux payés actuellement, quatre fassent partie de The Big Bang Theory. Bazinga!

    En revanche, leur travail, quoique très présent à travers les commentaires, demeure anecdotique, et, si on les voit régulièrement à la cantine, on les voit beaucoup moins bosser. En cela, leur vie est à l’opposé des séries criminelles, où la vie privée des personnages est quasiment inexistante, tout étant centré sur le travail, l’enquête en cours. La seule exception à cela est NCIS, dans laquelle l’aspect personnel des personnages est plus détaillé, plus fouillé.

    Contrairement à toi, je trouve NCIS (l’original) épatant, à cause de cette dimension humaine. En revanche, aucune série française n’a su me convaincre sur le long terme. Les français font d’excellentes mini-séries, disons six épisodes mais sur une seule saison. Par contre, leurs séries longues sont souvent insipides, mal jouées, car les français ont souvent ce complexe d’infériorité qui consiste à tenter de faire américain au lieu de se trouver un jeu original et français. Il suffit de voir que « section de recherches » est un remake des Experts. Il y en a d’autres. On fait cela en France depuis Châteauvallon, un remake franchouillard de Dallas. Et on a le culot de grogner quand les américains font des remakes de nos films, de Breathless (A bout de souffle) à The Bird Cage (La cage aux folles) !

    Petite remarque sur ton article: il est titré « Critique ». Toutefois, tu présentes la série, mais sans critiquer, que la critique soit aisée ou pas.

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