Variations de tension

temps de lecture : 5 minutes 

Cet exercice de style a été exécuté dans le cadre d’un atelier d’écriture. Il s’agissait de raconter quatre fois la même histoire en augmentant la tension du récit à chaque fois . Il a déjà été publié ici il y a quatre ans. 

 

Basse tension
L ‘homme s’approcha de l’entrée, poussa la porte et pénétra dans la salle d’attente. Au fond de la pièce, une femme d’âge moyen tapait à la machine derrière un bureau.
— Bonjour, monsieur. Vous désirez?
— Bonjour madame, je souhaiterais voir le docteur Cottard.
— Est-ce que vous avez rendez-vous?
— Hélas non, mais c’est important.
— Je suis désolée, mais c’est impossible. D’ailleurs, le docteur est absent. Il faudra prendre un rendez-vous.
— Bon, tant pis, je repasserai.

Moyenne tension
L ‘homme paraissait agité. Il s’approcha de la grande porte vitrée et la poussa avec hésitation. La salle dans laquelle il venait de pénétrer était immense et glaciale. Le silence n’était troublé que par le ronronnement de l’air conditionné et le lent crépitement d’une machine à écrire.
Une femme au physique ordinaire et d’âge moyen se tenait derrière l’unique bureau et tapait à la machine avec application. Elle ne leva pas les yeux vers le visiteur. L’homme toussota discrètement pour attirer son attention.
— Pardon, Madame, excusez-moi, mais je voudrais voir le Docteur Cottard.
— Impossible, répondit-elle sans lever les yeux.
Il insista avec timidité:
— Mais, euh, c’est important…
Elle le regarda droit dans les yeux:
—Je viens de vous dire que c’était impossible.
Il reprit sur un ton plaintif:
— Mais, c’est important…
— Allez-vous-en! Revenez plus tard! Ou demain! Je n’ai pas que ça à faire.
Craintivement, l’homme fit demi-tour et retraversa la salle vers la grande porte de verre. Au moment de l’atteindre, il se retourna et dit doucement :
— Au revoir, Madame.

Haute tension
L ‘homme paraissait épuisé. Ses vêtements étaient froissés et poussiéreux. En titubant, il s’approcha de la lourde porte en verre, s’appuya contre elle et poussa de tout son poids sans parvenir à l’ouvrir. Elle finit par céder d’un seul coup. L’élan le propulsa à l’intérieur de l’immense salle. Il ne fit que quelques pas chancelants avant de s’affaler avec fracas sur le plancher rugueux. Il se releva avec peine en tentant de nettoyer sur sa veste ses mains écorchées par la chute. La température de la pièce était glaciale et le silence oppressant. Tout au bout de la pièce, sur une estrade haute de quelques marches, il vit un grand bureau métallique verdâtre derrière lequel trônait une femme entre deux âges, à cheveux gris, tailleur gris et lunettes d’écaille. Elle tapait un texte sur une énorme machine à écrire avec une extrême lenteur. Elle semblait ne pas avoir remarqué son entrée vacillante et continuait de l’ignorer.
D’un pas rapide mais incertain, il arriva jusqu’au pied de l’estrade. Malgré le froid, la sueur ruisselait sur son visage et mouillait le col déchiré de sa chemise. Il leva les yeux vers la femme et dans un souffle, il dit d’un ton pressant:
— S’il vous plait. Le Docteur Cottard. Il faut que je voie tout de suite le Docteur Cottard.
La femme fit semblant de vérifier sur l’agenda qui était ouvert sur son bureau et dit:
— Je ne vois pas ici que vous ayez pris rendez-vous. Le docteur est en consultation. Il ne pourra pas vous recevoir aujourd’hui.
— Mais c’est urgent. Il y a eu un accident…Ma femme….
— Je vous dis que c’est impossible. Il faudra prendre rendez-vous.
— Mais, sacré Bon Dieu! Puisque je vous dis …
— Monsieur, non seulement vous n’avez pas de rendez-vous, mais vous avez une tenue négligée et un langage incorrect. Je vous prie donc de sortir de ce bureau immédiatement!
Elle referma lentement l’agenda et reprit son travail imperturbablement. Pendant ce temps, l’homme, affolé, avait traversé la salle et poussé violemment la porte en verre. A présent, il courait dans la rue en tous sens en agitant les bras et en poussant des cris incompréhensibles.

Surtension
L ‘homme était en sang. En rampant dans la poussière de la rue déserte et surchauffée, il avait atteint la grande porte vitrée. A présent, il donnait de faibles coups de poings sur la paroi de verre qui sonnait sourdement. Malgré le sang, la sueur et les larmes qui lui coulaient dans les yeux, il pouvait voir l’intérieur de l’immense salle au bout de laquelle se trouvait le bureau d’accueil. Il pouvait même apercevoir la femme en gris qui trônait derrière un grand bureau vert en haut de quelques marches. Malgré les coups sourds qui se répétaient sur la porte, elle ne lui prêtait aucune attention. Assise raide sur sa chaise, elle tapait à la machine avec lenteur et application. Dans un effort surhumain qui lui fit venir une nausée, il réussit à se redresser en s’appuyant contre la porte pour la faire céder sous son poids. Mais il ne réussit d’abord qu’à laisser les empreintes ensanglantées de ses mains sur le verre. Puis le battant s’ouvrit d’un seul coup et il s’affala  dans la pièce en gémissant de douleur.
La salle était glaciale. Le silence n’était troublé que par les grincements de l’appareil à air conditionné et par le bruit des touches qui frappaient le cylindre de la machine à écrire.
La femme ne le voyait toujours pas.
Il reprit sa progression vers le bureau. A présent, il avançait à quatre pattes  sur le plancher rugueux qui lui écorchait les mains et les genoux. Entre deux petits cris de douleur, il répétait:
— Cottard, je veux voir le docteur Cottard, il faut…
Mais la femme l’ignorait toujours et continuait à taper avec cette lenteur infernale.
Arrivé au pied de l’estrade, il réussit tant bien que mal à monter les trois marches et à se relever en s’agrippant  au bureau. Maintenant, son visage était à la hauteur de la machine, il s’appuyait sur le meuble et le sang coulait de sa bouche et de son nez sur la réserve de papier vierge. Il leva les yeux vers la femme et, dans un souffle épuisé, il réussit à prononcer:
— Le Docteur Cottard, par pitié !
La secrétaire affecta alors de le remarquer pour la première fois. En abaissant ses lunettes d’écaille, elle dit:
— Bonjour, monsieur. Vous n’avez pas rendez-vous, je crois. Je regrette, mais l’agenda du docteur est plein pour la journée. Il va falloir que vous attendiez jusqu’à ce soir. Aussi, on n’a pas idée de venir comme ça à l’improviste pour consulter le docteur ! Allez donc vous asseoir là-bas et, surtout, ne salissez rien !
L’homme retraversa la salle en chancelant et s’effondra sur l’unique chaise où il ne tarda pas à rendre l’âme.

Coupure de tension   (Fin)

6 réflexions sur « Variations de tension »

  1. Tu as raison. Bien que la recherche des répétitions soit un de mes passe-temps favoris, ce point là m’échappe souvent.

  2. Allez, je vais chipoter, juste pour dire quelque chose. Comment éviter l’abus d’auxiliaires être ou avoir, bien que ce texte n’en contienne pas.
    Au lieu d’écrire : « La salle était glaciale. Le silence n’était troublé que par les grincements… », il suffit de dire : La salle était glaciale. Rien ne troublait le silence que les grincements…
    Et hop, le tour est joué.
    Plus sérieusement, la progression dramatique est respectée. Chapeau l’artiste.

  3. J’ajouterais que les secrétaires derrières un bureau devant la porte d’un puissant sont inflexibles aux grand’âmes des timides, souffreteux, cacochymes ou mourants.

  4. Une autre morale est qu’il vaut mieux être bien portant (que pauvre et malade, encore que la pauvreté n’ait rien à voir avec l’histoire mais reconnaissons que la richesse comme les relations apaisent les tensions) si on ne veut pas avoir à se confronter à ces cerbères féminins qui s’intronisent gardiennes et gérantes du cabinet du docteur.

  5. Evidemment! La surtension fait disjoncter, c’est bien connu, et la lumière s’eteint.

  6. Morale de l’histoire: Ne prenez jamais d’âme puisqu’il vous faut toujours la rendre et qu’entre-temps elle vous met dans de sacrés états!

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