Du côté de chez soi

Après le « Longtemps, je me suis levé de bonne heure » publié le 23 avril dernier qui contait dans le détail ma vaine recherche d’un lever de soleil à l’Ouest, voici une nouvelle tentative de description de ma petite madeleine à moi (déjà publiée le 23 août 2014).

Longtemps, je me suis levé de bonne heure pour m’asseoir à ma table de travail, alors qu’un premier rayon de soleil hésitant venait poser sa tache de lumière tremblante et dorée sur le bois bruni du vieux meuble, entouré et comme écrasé par ces épaisses tentures et ces lourds rayonnages qui ployent sous la charge d’oeuvres que je n’ai pas créées, accablé par la perspective d’une morne journée d’un travail fastidieux que serait l’écriture de mes souvenirs de jeunesse, dont je savais par avance que je n’aurais pas la force de l’achever.

Vers le milieu de l’après-midi de l’une de ces journées où la chaleur humide succède à l’averse attendue et annonce déjà la lassitude qui ne manquera pas de me gagner lorsque viendra l’heure du gouter, je tressaillis soudain : une odeur, étrangère et connue tout à la fois, venait de parvenir à mon cerveau sans que je puisse déterminer la raison véritable de l’émotion qu’elle y provoquait. D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Je respirai une nouvelle fois cet effluve si particulier sans y découvrir davantage que la première fois.

Je me tournai alors vers mon esprit et recherchai dans ses méandres ce que pouvait m’évoquer ce parfum encore léger, mais déjà obsédant. J’étais sur le point d’abandonner mon effort, poussé en cela par cette paresse naturelle de l’esprit quand il s’agit de remonter un fil de souvenirs sous l’effet de la seule volonté, quand tout à coup la cause de l’odeur, et par conséquent son nom, surgit dans mon esprit, comme éclot une fleur cinématographiée en accéléré. Ce nom, c’était bitume, bitume humide, bitume humide et chaud.

Et dès que j’eus reconnu cette odeur de Macadam, les cloisons ébranlées de ma mémoire cédèrent, et la longueur du boulevard de Port-Royal luisant dans la lumière de l’été m’apparut, montant vers les vacances, les rentrées des classes, les amis, les jeunes filles, les voyages, les automobiles, les amours, les enfants, le Ferret, l’Italie, enfin tout l’édifice immense du souvenir.

 

8 réflexions sur « Du côté de chez soi »

  1. Je suis heureux de constater que ce pastiche ait généré en si peu de temps autant de commentaires. Alors je vais en rajouter une couche car un détail m’a interpellé à sa lecture. Ce détail est que notre pasticheur a écrit le mot macadam (nom commun écrit habituellement ainsi même si la macadamisation est un processus inventé par un certain Mac Adam) avec un M majuscule en pleine phrase: Macadam. Je me doute bien que ce n’est pas fortuit. Je suis donc allé voir du Côté de Chez Swann, dans le célèbre paragraphe consacré à la Madeleine, comment Marcel Proust avait traité la question. Le mot madeleine dans le texte est écrit sans majuscule. Mais, à son introduction au début du paragraphe, on lit « …ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines… », avec un M majuscule. Bon, je n’ai rien à ajouter, le pasticheur à bien pastiché!

  2. C’est amusant, car je suis en train d’écrire une sorte de pastiche de l’autre Marcel que j’aime, et dont le titre provisoire est « Pagnolesque ». Mais je me suis plutôt orienté vers le côté « devine ce qui est arrivé sur la place de la mairie », incident dans la vie sociale d’une petite ville provençale, que vers le côté descriptions de garrigues avec chant de cigales et falaises blanches avec grottes pleines de Grands Ducs. Non pas que je n’aime pas les description de Pagnol, – une des plus belles descriptions d’orage que j’ai jamais lue se trouve dans la Gloire de mon père-, mais pasticher ce style me paraît beaucoup plus difficile.
    Mon « Pagnolesque » sera donc plus probablement une « Pagnolade ».
    A paraître dans quelques semaines….

  3. Auto-Psy:

    « … accablé par la perspective d’une morne journée d’un travail fastidieux que serait l’écriture de mes souvenirs de jeunesse, dont je savais par avance que je n’aurais pas la force de l’achever. »

    Auto-Psychanalyse:

    « … une odeur, étrangère et connue tout à la fois, venait de parvenir à mon cerveau sans que je puisse déterminer la raison véritable de l’émotion qu’elle y provoquait. D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Je respirai une nouvelle fois cet effluve si particulier sans y découvrir davantage que la première fois.

    Je me tournai alors vers mon esprit et recherchai dans ses méandres ce que pouvait m’évoquer ce parfum encore léger, mais déjà obsédant. J’étais sur le point d’abandonner mon effort, poussé en cela par cette paresse naturelle de l’esprit quand il s’agit de remonter un fil de souvenirs sous l’effet de la seule volonté, quand tout à coup la cause de l’odeur, et par conséquent son nom, surgit dans mon esprit, comme éclot une fleur cinématographiée en accéléré. Ce nom, c’était bitume, bitume humide, bitume humide et chaud. »

    De la Psychanalyse à la Communicologie:

    Du paradigme de la photo appliqué à l’odorat au paradigme de la carte écran radar focalisée sur le boulevard Raspail!

    Question de sens: Doit-on croire que la perception d’une odeur remonte vers le cerveau comme le suggère le paradigme photo où les objets éclairés qui entrent dans le champ de focalisation sont filtrés par ces lentilles que sont nos yeux pour finir par se fixer sur la plaque photo (vierge) qu’est notre cerveau ou, dans le sens inverse, les souvenirs, stockés confusément dans notre cerveau (bourré de souvenirs, souvenirs!), comme les repères fixés sur la carte d’un écran radar téléguident ou dirigent nos sens (visuels, olfactifs, auditifs, tactiles, etc.) comme des antennes radars vers ce qu’il peut décrypter cognitivement et évaluer affectivement (justement en fonction de ces souvenirs, qui doivent être effectivement nommés pour être conscients)?

    La loi de ‘Requisite Variety’ d’Ashby veut que la complexité infinie de l’univers (ce ‘tout’ dont Bernanos disait que nous étions informés) soit réduite à la simplicité de l’appareil qui l’observe de « chez soi » et qui a pour fond d’interprétation notre intime carte écran radar faites de nos souvenirs enchevêtrés!

    Personnellement, j’opte pour le paradigme radar que veut que ce que nos sens détectent cognitivement et évaluent affectivement soit le fruit (souvenirs traduits en symboles) des projections de notre esprit (que les teutons nomment notre ‘Weltanschauung’) sur l’environnement que nous contemplons ou observons.

    Nous créons donc ainsi le sens de ce que nous percevons à partir de notre histoire.
    Quand je lis Proust, je me lis!

    « Pour voir, il faut croire » (cad avoir des mots, des symboles, pour décrire ou décrypter) comme le disait si bien Saint Augustin du fond de sa crypte obscure!

  4. Après quelques mois de vagabondage, le même plaisir de la (re)-découverte de ce texte, ce matin, devant ma tasse de café, affiné par quelques mois de ‘diète’, peut -être.

  5. Que pourrait-il faire , alors, du  » Alors commença la féerie », de Pagnol, à la suite de laquelle se trouve la description de sa toute première vision de la guarrigue d’Aubagne? A voir…

  6. Une reprise très bien exécutés du texte de Proust.
    Je suis tout à fait d’accord avec Gilbert!!! ( je n’ai jamais pu finir un Proust, quel qu’il soit, alors en voici au moins un…)

  7. Philippe, revêtu de son marcel estival, nous livre ici un très bon pastiche de La Recherche. Maintenant, on en attend d’autres.

  8. J’ai enfin rencontré une oeuvre de Proust que j’ai pu mener à son terme.
    Compliments et remerciements.

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