Au Café de Flore (Couleur café n°11)

Au Café de Flore  (Boulevard Saint Germain, Paris)
Couleur café n°11
C’est la fin du mois de mars. Il fait beau et frais. Il est un peu plus de neuf heures et demie et je n’ai rien de spécial à faire dans les deux heures qui viennent. C’est le moment de me rendre dans un bistrot pour tenter de compléter ma série des « Couleur café ». Je prends un Vélib et, sans donner un seul coup de pédale ni rencontrer un seul feu rouge, je descends la rue Soufflot puis la rue de Médicis. La pente de la rue Garancière m’expédie dans un virage risqué jusqu’à l’entrée de la place Saint Sulpice. La beauté du paysage qui défile, l’inclinaison que je prends dans les courbes, le bruit du vent dans mes oreilles, le froid sur mes joues, tout ça me fait penser aux  premières descentes à ski des matins de Tignes et c’est presque dans un élégant mouvement de christiania que j’engage mon vélo dans une borne de la rue du Vieux Colombier.

Tout en descendant du haut de la montagne Sainte Geneviève, j’avais fait mon choix: ce matin, ce serait le Café de Flore. Je ne vais que très rarement au Café de Flore et pratiquement jamais au café voisin des Deux Magots. Je trouve que les Deux Magots sont devenus beaucoup trop touristiques et que je n’ai pas vraiment ma place au Flore. Mais je me suis dit qu’à cette heure plutôt matinale, il n’y aurait que peu de monde. Je pensais pouvoir m’installer à une table bien placée et observer les clients au fur et à mesure de leur arrivée. Peut-être pourrais-je en tirer quelques lignes de fines observations nostalgiques, humoristiques ou sarcastiques sur la clientèle particulière de ce célèbre café.

Pour ceux qui ne connaissent pas – certains diraient: pour les hétéroploucs – il faut préciser que le Café de Flore a bénéficié très longtemps de la réputation d’accueillir une clientèle composée essentiellement d’intellectuels et d’homosexuels. Cette réputation n’est plus vraiment méritée depuis que le Guide du Routard et autres manuels pour non-initiés-mais-voulant-le-devenir ont dilué les clients habituels dans le tourisme de masse.

Je l’avais momentanément oublié, le tourisme de masse, mais, ce matin, il est arrivé avant moi et la salle intérieure en est pleine. A contrecœur, je reviens vers la terrasse extérieure, encore presque entièrement vitrée à cette saison. Cette véritable serre commence à chauffer sous les rayons du soleil qui viennent de l’atteindre. Elle est presque pleine mais, en me faufilant près de la porte  de la rue Saint Benoit, j’arrive à trouver une table libre un peu éloignée des autres.

Comme je compte y rester assez longtemps, je ne commande pas un express mais un de ces cafés que l’on vous sert dans une petite cafetière auquel sa forme et son poids confèrent le caractère cossu et désuet que je recherche.

Tout à l’heure, dans ma déception de trouver le café bondé, j’ai dit « tourisme de masse ». À y regarder de plus près, ce n’est pas tout à fait vrai, et le touriste de ce matin a plutôt bonne allure. Il est même assez chic, le touriste du Flore. Il faut dire qu’à cette heure, il n’est pas encore fatigué, le touriste, il n’a pas encore tourné dans la rue Mazarine, la rue du Dragon, la rue de Buci, la place Furstemberg, à la recherche du petit restaurant dont il pourra parler à ses amis dès son retour à Pasadena, Columbus ou Seattle. Car, à l’ouïe, ce sont surtout des américains qui fréquentent le Flore ce matin. La première ligne de tables sur le trottoir est occupée presque uniquement par des couples. La cinquantaine en forme, tenue sportive mais élégante, ils regardent en silence dans la même direction, selon le poncif du couple stabilisé. Ils regardent le boulevard Saint Germain, les voitures, les passants. Ils boivent du café. De temps en temps, l’un d’eux émet une remarque sur ce qu’il vient d’observer, et l’autre acquiesce d’un hochement de tête ou d’un monosyllabe. Sérénité ou ennui, plaisir des sentiments apaisés ou regret de ne pas être avec quelqu’un d’autre, on ne sait pas.

Le deuxième rang de tables est plus mélangé: quelques autochtones, parisiens solitaires à la recherche de leurs souvenirs, iPhone en main, mais aussi des groupes de filles, saines, belles et bruyantes. Par trois ou quatre, elles mangent des glaces ou bien des œufs au plat sur toast en buvant du Chardonnay ou du Chablis. Forcément Américaines. Springbreak probablement. Je reconnais une avocate du quartier avec qui j’ai travaillé il y a des siècles et qui discute avec un client devant un petit déjeuner tardif tandis que les garçons opèrent nonchalamment.

Un jeune couple se regarde par-dessus sa table. Il se regarde et il se parle. Rien ne le Café de Floredérange, ni les éclats de voix des tables de filles qui augmentent en volume avec le nombre de verres de vin, ni le concert de Klaxons que déclenche l’accrochage qui vient de se produire devant la terrasse. Il se parle.

Je dis souvent que je n’écris bien que dans les cafés. Je veux dire en fait que je n’écris facilement que dans les cafés.

Quant à bien écrire, c’est une autre histoire…Parfois, lorsque j’écris, il arrive que le clavier soit en forme. Alors, j’ai l’impression d’être Oscar Peterson devant son piano. C’est un grand plaisir, rare et éphémère.

Ce n’était pas le cas aujourd’hui.

 

3 réflexions sur « Au Café de Flore (Couleur café n°11) »

  1. Ecrire pour moi est un don de la nature comme peindre, sculpter, fabriquer des meubles, etc. …………..on a tous un don et au moins tu nous le fait partager !

  2. Les lectrices et les lecteurs du JDC auront remarqué que, pour éviter que mon précédent commentaire soit censuré pour « UNhappy ending » (qui aurait négativement affecté la sensibilité des touristes américains de passage au Flore), j’ai délibérément occulté la chute!

  3. Si tous les Parisiens, qu’ils soient « pure laine » ou touristes ‘classe affaire’ made in USA se mettaient à utiliser les Vélibs comme Philippe, il y a fort à parier qu’en moins d’une semaine ces paires de roues, devenues paires de skis pour nostalgiques de la Grande Blanche, se retrouveraient toutes sur les bords de la Seine.
    Il faudrait alors imaginer des remontes pentes ou tire-Vélibs remontant de la Place Saint-Michel au sommet de la Montagne Sainte Geneviève, des Tuileries à Montmartre, etc. Il est vrai qu’à Montmartre, il y a déjà le funiculaire derrière lequel il suffirait d’ajouter un panier à Vélib du même genre que les nacelles à skis qui ornent le téléfériques et les petits œufs des grandes stations. Les ascenseurs de la tour Eiffel pourraient être eux aussi dotés de nacelles à Vélibs pour permettre aux amateurs de vélocross d’éprouver de grandes sensations dans la descente des escaliers.

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