Qui sont-ils?

Café Le Luxembourg- Place Edmond Rostand
Couleur café 13

Lundi, six heures moins cinq. La terrasse du café prend les derniers rayons du soleil de septembre. A droite, les premiers arbres du Luxembourg commencent à lui faire de l’ombre. En face, la fontaine du bassin Soufflot envoie de travers ses maigres petits jets. Au fond, le métro Luxembourg avale et recrache les mêmes voyageurs. Sur la gauche, le bas de la rue Soufflot et le milieu du boulevard Saint-Michel s’encombrent d’autobus, de vélos, de scooters et de voitures. Les piétons hésitent et dansent gentiment en traversant la place. Tout est calme. Cette paisible rumeur qui vient de la ville berce mon travail de réécriture. Aujourd’hui, c’est ma nuit du 4 août à Los Angeles que je revois.

 …La vieille Hudson 51 nous aura au moins amené jusque là. Nous l’avions achetée à Flagstaff deux semaines plus tôt...

Il fait bon.

Soudain, l’humeur change. On commence à deviner, montant de la Seine, plusieurs sirènes. Puis, le bruit se précise: ce sont bien des avertisseurs de police

qui annoncent leur arrivée prochaine. Leurs deux notes ont quelque chose de désuet. Rien que la façon de transcrire leur musique, pin-pon-pin-pon, est démodée, ridicule. Mais, jouées en canon par deux ou trois véhicules qui remontent le boulevard à toute allure, elles ajoutent par leur côté haletant, énervé, une touche malvenue d’inquiétude et même d’angoisse à cette tranquille et tiède fin après-midi.

Les trois véhicules bleus apparaissent presque en même temps sur la place, serrés l’un derrière l’autre. La présence d’un ou deux bus mélangés avec deux ou trois voitures et quelques scooters et vélos créé un obstacle qui oblige le convoi à ralentir et s’arrêter. Les avertisseurs se déchaînent. Pour se dégager, les automobilistes moulinent leur volant, les scooters se faufilent sur les trottoirs et les vélos montent sur les refuges. La RATP reste immuable.

La voiture de police de tête a pu se dégager, mais pas les deux fourgons, moins maniables. Ils hurlent en continu. Tout le monde les regarde. Leurs flancs droits sont maintenant au soleil. On ne voit rien de leurs passagers car leurs fenêtres ont été aveuglées à la peinture blanche. Mais, comme il fait chaud, la partie supérieure reste ouverte derrière un grillage à maille serrée et, par endroits, on y voit l’extrémité de doigts accrochés ou des visages plaqués. On imagine des hommes, debout ou à genoux sur les bancs des fourgons, tentant d’attraper un maximum d’images de jardin au soleil, d’arbres encore verts, de marrons brillants tombés au sol, de filles achetant des glaces à l’entrée du parc. Il faut qu’ils fassent vite ; dans moins de quatre minutes, ils entreront à la Santé.

Ces hommes qui se pressent contre les grillages et qui garderont ce soir leur trame imprimée sur la joue, ces hommes que l’on transporte aux mêmes sons de sirène que les chefs d’état, qui sont-ils ?

des truands au grand cœur, tombés muets, par honneur ?
des voyous voyants, obtus et obstinés, violents et violeurs ?
des trafiquants trahis, calculateurs et revanchards ?
des cambrioleurs de haut vol, piégés en vidéo ?
des voleurs de vélos ?
des hommes d’affreuses affaires ?
des égarés errant dans une erreur judiciaire ?

Un peu de tout ça, peut-être. Pour l’instant, tous différents mais d’un même regard, ils s’imprègnent des visages des enfants immobiles qui les contemplent.

Pendant ce temps, le nœud s’est dénoué et le convoi hurlant s’éloigne. Pin-pon-pin-pon…

Le calme revient.

…et l’océan est gris huileux. Quelques oiseaux oscillent, assis sur les petites vagues molles. Sur notre droite, un avion décolle en silence vers le large. Nous garons l’Hudson le long …

 

2 réflexions sur « Qui sont-ils? »

  1. Mais oui Christiane, présumons l’innocence et laissons la justice trancher. Hum? « Trancher »? Quand même pas « la tête des autres », non? Sinon gare au gorille, il aime, paraît-il, d’après ce vieux et cher Georges Brassens, se taper un jeune juge qui a obtenu une tête le matin même.

  2. Qui sont-ils? Qui sont-ils? Mais c’est pas la question, faut pas tout confondre tout de même. La question c’est QUE sont-ils? et ma réponse c’est: IN-NO-CENTS (enfin, c’est ce que je présume…).

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