Suite africaine n°1 – La nuit africaine

En ce temps-là, le Burkina Faso s’appelait  Haute-Volta.
Par bonheur, lorsqu’ils ont décidé de changer le nom de ce pauvre pays africain, les hommes politiques alors en place ont conservé les noms magnifiques de leurs deux plus grandes villes, Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.
L’hôtel RAN, du nom de la Régie des Chemins de Fer Abidjan-Niger, n’était pas le meilleur hôtel de Ouagadougou, mais il avait le charme de ces hôtels coloniaux de deuxième ou troisième catégorie. N’allez pas imaginer des terrasses en bois tropical offrant la vue sur la boucle d’un fleuve où bailleraient des hippopotames ou sur une large vallée brumeuse et verdoyante; n’allez pas imaginer des salons bien ventilés, remplis de fraicheur et de gros meubles en bois sombre ni des bars en acajou surmontés d’alignements de bouteilles multicolores; ni même des boys nombreux, silencieux et nonchalants, chargés de plateaux portant des verres de formes diverses et remplis de liquides aux tons pastel mélangés et imprécis.
L’hôtel Indépendance lui-même, le meilleur et le seul autre hôtel de la ville, n’était qu’un gros cube rosâtre de six étages dans un jardin sans charme, mais apprécié des expatriés pour son restaurant de plein air bien ombragé et sa belle piscine.

Non, le RAN ne sortait pas de Out of Africa. Il était situé en pleine ville, sur la Route Nationale 4 qui mène à Bobo-Dioulasso et qui, à cette époque, était bordée de grands flamboyants. Ces arbres avaient été plantés par les colons cinquante ans auparavant. Dans quelques années, ils seraient abattus par les révolutionnaires en tant que symboles de la colonisation.
On entrait dans le parc de l’hôtel en passant sous un arc de ciment armé portant fièrement peintes en bleu ciel les trois lettres de la compagnie de chemin de fer. Au bout d’une  allée en terre battue, on arrivait au bâtiment principal, rectangulaire, de couleur grise, avec un seul étage entouré d’un large balcon.
Au rez de chaussée, qui ne comportait aucune porte, on trouvait tout d’abord la réception, avec son carrelage bleu ciel et blanc, son ventilateur de plafond et son bureau derrière lequel était accroché le tableau des clés, puis le bar, meublé de ces inconfortables sièges en fil de fer des années cinquante, enfin la salle de restaurant, sonore et sinistre, le tout d’une propreté luisante du dernier lavage à grande eau. A l’étage, les chambres les plus anciennes, toutes communicantes par le biais du balcon.

Arrivé très tôt le matin par l’avion d’UTA, on m’avait logé dans la partie « motel » du RAN, plus moderne et constituée de bungalows dispersés dans le jardin, fièrement appelé « parc zoologique » parce qu’il comportait quelques cages contiguës aux bâtiments  et renfermant des animaux de la région. Chaque bungalow abritait deux chambres dont les fenêtres, constituées de lamelles de verre cathédrale orientables, donnaient directement sur les cages. En emménageant en milieu de matinée, j’avais pu voir que « ma » cage abritait deux exemplaires d’un échassier à long et large bec, probablement des  marabouts.

Je dînais à l’Indépendance avec les deux autres membres de la mission. La chaleur humide de la nuit était rendue supportable par la très bonne bière de « Bobo », comme on dit quand on a passé plus d’une demie journée en Haute Volta.
Toute la journée, au contact de l’administration voltaïque et de quelques commerçants et serveurs, j’avais été frappé par  la douceur et la gentillesse des habitants de ce pays, en contraste total avec mes expériences précédentes au Tchad et au Cameroun.
Peut-être étais-je aussi en train de devenir un de ces blancs amoureux inconditionnels de l’Afrique? Non, peu probable, à la réflexion.

Légèrement imbibé de bière, je rentrai seul à pied à l’hôtel.
Une fois passé l’arc d’entrée et disparues les lumières de la route nationale, je me trouvais dans l’obscurité presque totale du jardin à la recherche de mon bungalow. J’avançais dans le noir avec précaution. Je finis par longer un bungalow au-delà duquel je crus reconnaître celui qui abritait ma chambre. Alors que j’étais à mi-distance des deux bâtiments, un rire s’éleva dans mon dos, tout près. C’était un rire terrible, pas joyeux du tout  ni moqueur,  bien plus que sardonique : démoniaque, terrifiant. Malgré la chaleur, j’avais littéralement froid dans le dos. Quelles pensées m’ont alors traversé l’esprit, je ne saurai le dire. Je crois qu’au bout d’une ou deux secondes, j’ai dû recouvrer mes esprits et chasser l’idée de sorcellerie, si présente en Afrique.

J’ai alors pensé qu’on se moquait de moi, qu’ on avait voulu me faire peur et que j’allais découvrir quelques boys hilares, ravis d’avoir terrifié le blanc. Je m’avançais avec assurance dans la direction du rire qui avait cessé et je dis d’une voix que je voulais à la fois ferme et gaie : « Bonsoir, les gars ! »
Le même rire me répond, auquel vient s’ajouter un souffle. A la limite de la panique, je me retourne et marche, sans courir, mais à grands pas rapides, vers la porte du bungalow que je pense être le mien et que j’atteins bras tendu  et clé pointée vers l’avant. Par bonheur, elle ouvre la porte sans difficulté.
Le sommeil viendra un peu plus tard,  assez rapidement malgré l’adrénaline, grâce à la fatigue et la bière accumulées.

Le lendemain matin, après avoir salué les marabouts qui lorgnent dans ma chambre, je sors de mon bungalow pour aller prendre mon petit déjeuner. En passant à côté du bungalow voisin, je vois, allongée au soleil dans sa cage, une hyène qui ne lèvera même pas la tête pour me regarder passer.

5 réflexions sur « Suite africaine n°1 – La nuit africaine »

  1. C’est génial! C’est donc vrai ce que l’on entend sur elle!

  2. C’est un plaisir de te lire …tu vois la distance ainsi ne m’éloigne pas de vous…..Une belle façon de nous faire découvrir des tranches de vie…..

  3. Les prochains épisodes de ma Suite Africaine n’essaieront pas de faire peur, mais plutôt de décrire un peu de ce petit bout d’Afrique et de quelques africains, voltaïques ou maliens.

  4. Avant la fin de ton récit j’avais deviné qu’il s’ agissait d’une hyène. J’en ai déjà entendu et c’est glacant.
    De tout facon, ces nuits africaines, equatoriales ,chaudes qui tombent à 6 heures du soir sous un ciel sans etoiles, sont inquiétantes, terriblement noires (peu d’électricité) et pleines de bruits inconnus qui engendrent la peur.

  5. Merci pour cette nouvelle qui m’a évadée et m’ a tenue en haleine quelques instants!

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