J’étais seul hier soir au Théâtre Français

J’étais seul hier soir au Théâtre Français.
L’auteur n’avait pas grand succès,
Ce n’était que Molière, et nous savons du reste
Que ce grand maladroit qui fit un jour Alceste …

Un salon du XVIIème (siècle).
Philinte entre à grands pas, portant un plateau sur lequel se trouvent une bouteille et deux coupes. Alceste le suit en protestant.

Alceste
Mais enfin, mon ami, puisque je n’en veux pas…

Philinte
Apprenez, cher Alceste, qu’avant tout bon repas
Le Champagne s’impose : c’est une obligation,
Surtout quand il s’agit de notre réveillon.
Un peu d’effervescence vous disposerait mieux
Envers les autres hommes, les jeunes et les vieux.
Et il se pourrait bien que ce vin vous amène
A oublier un temps la dure Célimène.

Alceste
Laissez là Célimène, Philinte, je vous prie,
Quant aux hommes, je ne veux en faire mes amis.
Et je ne bois jamais !

Philinte
.                                          Eh bien, vous devriez !
Avec modération, mais régularité.
Acceptez de goûter avec moi ce breuvage
Et je vous aimerai le reste de votre âge.
Ça ! Vous ne dites rien ! C’est que vous consentez !
Ah ! J’en suis fort heureux. Maintenant, observez :
A la jolie bouteille, comme pour une maitresse,
Je lui défait sa coiffe avec délicatesse.
Puis je saisis le fil qui lui sert de ceinture,
Le dénoue lentement, car c’est dans ma nature.
A présent, elle est nue, il faut être énergique
Et saisir le bouchon, qui résiste, c’est logique,
Le tourner en tous sens, jusqu’à ce qu’il faiblisse
Et saute du flacon jusque dans les coulisses.
Regardez maintenant, j’incline la bouteille
Et répand dans nos verres le produit de la treille.

Alceste
Merci, cela suffit, vraiment, et juste un doigt
Car vous savez fort bien que jamais je ne bois

Philinte
Cher Alceste, à présent qu’est versé ce champagne,
Laissez-moi vous guider dans sa dégustation.
Ce merveilleux breuvage ne nous vient pas d’Espagne
Mais d’un moine français nommé dom Pérignon.
Admirez tout d’abord cette limpidité,
Ce soleil matinal dans le vin enfermé.
Observez maintenant ces si petites bulles
Qui jaillissent du fond hors de leur ergastule.
Oyez comme elles chantent en parvenant à l’air,
Formant à la surface une mousse légère.
Laissez s’évanouir cette écume céleste.
Il faut attendre encore un peu, mon cher Alceste.
Approchez votre nez, mais gardez la distance,
Ce n’est pas du Bourgogne ! Sentez la différence.
Et puis enfin, goûtez ! Donnez-m’en des nouvelles.
Dissertez, il est temps, et baillez-m’en de belles.
Est-ce un brut, mélange de deux ou trois cépages
Ou un millésimé de cinq ou six ans d’âge ?
Nous vient-il d’Epernay ou alors de Bergère-
Sous-Montmirail ? Et puis, le paieriez-vous très cher ?
La finesse des bulles est-elle à votre goût ?
Et la température, comment la trouvez-vous ?
Décidément, mon cher, vous n’êtes pas bavard
Et vous gardez pour vous vos rares commentaires,
Car la dégustation est vraiment tout un art
Qui bien mieux s’exerce en parfait solitaire.
Mais afin de gouter mon plaisir en entier
Et pour récompenser tant d’années d’amitié
Portée par moi vers vous qui êtes si bougon,
Dites-moi quelque chose…

Alceste
.                                                       Je l’admets, il est bon.
Cela étant acquis, il n’est pas nécessaire
D’en dire davantage.

Philinte
.                                             Ah ! Mon ami sincère !
D’aucuns diraient que c’est assurément trop court
Mais ces trois mots de vous valent tout un discours,
Et sachant qu’aujourd’hui le Champagne vous plait,
En ce beau jour de l’an, mon plaisir est complet.

Rideau !

 

10 réflexions sur « J’étais seul hier soir au Théâtre Français »

  1. C’était bien en effet il y a quatre ans. Le temps passe vite diront les uns. Avec le temps… avec le temps, va, tout s’en va! chantait le pessimiste poète Léo Ferré. Mais, fort heureusement, il est des choses qui ne foutent pas le camp, des choses qui pourraient paraître anodines mais qui ne le sont pas, des choses comme le Journal des Coutheillas, un journal tenu remarquablement à bout de bras et à bout de plume par son fondateur et rédacteur en chef, le sage Philinte, oh! pardon, je voulais écrire Philippe, parfois à bout de son objectif photographique, de façon fidèlement quotidienne mais jamais à bout de souffle, et qui nous apporte chaque matin surprise, plaisir, réflexion, optimisme. C’est ce que je ressent ce matin 1er Janvier 2018 en me servant une nouvelle flûte de champagne que je vais boire â la santé de tous mes amis et à celle du JDC en lui souhaitant longue vie.

  2. Oui, c’est vrai, j’avais déjà publié une partie de ce texte. C’était il y a quatre ans. Déjà.

  3. Pour moi il y a un autre méthode pour ouvrir le champagne c’est de prendre un joli torchon blanc, bien plier et repasser (la classe!) , de pencher la bouteille , d’entourer le bouchon avec pour être sur de ne pas en arroser les inviter et de servir avec le torchon enroulé près du goulot en penchant le verre c’est évident !
    Depuis que j’ai gouté le Bergère-Sous-Montmirail j’y suis accro et quoi de plus agréable sur terre qu’un repas entre amis, en famille, avec un champagne en apéritif, un repas préparé avec amour par la maitresse de maison, les joies simples de la vie!!!!
    Très dur d’écrire en vers chapeau !

  4. Tirade courte et approximative.
    Merci pour cet envoi qui termine l’année.
    Avecques le foie gras le champagne à coulé,
    Et les huîtres,bien sur, juste avant le saumon.
    Nous pensâmes très fort à vous en Arradon
    Au cœur de la tempête, dans la pluie et le froid.
    Il est temps maintenant de glisser sous les draps
    Nos corps bien fatigués et nos ventres repus
    Car sinon, des bouteilles, bientôt, y’ en aura plus.

  5. Merci à toi cher Philinte
    Pour cette invitation sans astreinte
    À goûter ce soir sans modération
    Ce breuvage de Monsieur Champion
    De Bergères-sous-Montmirail
    Où avant de livrer bataille
    S’arrêta l’Empereur Napoléon
    Qui trouva, lui aussi, ce breuvage si bon
    Qu’il vainquit le lendemain
    Et que nous aussi apprécions haut la main
    Grâce à toi mon cher ami de toujours
    À qui nous devons la découverte de cet amour.
    Bonne année!

  6. Magnifique !!!
    Mais il ne faut pas oublier l essentiel
    Partager une coupe, c est d abord partager un moment entre amis
    J aurai une pensee pour vous ce soir en debouchant le premiere bouteille…

  7. Merci Philippe de nous mettre de bon matin l’eau non le CHAMPAGNE à la bouche !!!
    Vivement ce soir!!!!
    Michele

  8. Pour être tout à faite juste, il faut savoir que c’est un pays importateur l’Angleterre qui réalise la bouteille en verre épais et noir, élaborée dans un four chauffé au charbon. Ces mêmes anglais découvrent au Portugal les vertus du liège qui permet un bouchage hermétique, la possibilité de favoriser le transport et la conservation des dites bouteilles. Bientôt ils inventent encore le champagne mousseux que les Français ne confectionneront qu’à partir de la Régence
    … et voilà !

  9. votre article est un vrai délice de bon matin pour cette dernière journée de travail !! avant de terminer l’année en beauté (j’ai une petite préférence pour sabrer le champagne mais ceci serait trop expéditif …. je pense essayer au mieux la « bonne méthode »et me délecter de la tirade de Philinte….!….)
    au seuil de cette année je vous adresse tous mes voeux de santé et de bonheur à partager en famille .
    bien cordialement
    Clauria RAMOS

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