Les oies du Capitole

J’ai une très nette tendance à considérer que les oies sont des animaux hautains, vindicatifs et antipathiques. Comme ils font partie de la classe des Aves, je crois leur avoir définitivement réglé leur compte et cloué le bec avec ma célèbre série « Les Oiseaux sont des Cons ». Cependant, je dois à l’Histoire de leur concéder qu’à un moment donné, en un lieu donné, cette stupide volaille a rempli un rôle certes instinctif mais non négligeable. Que ce rôle ait été joué au détriment de nos ancêtres les Gaulois et qu’il n’ait fait que retarder le sac de Rome de quelques jours, ne change rien au fait que l’on se souviendra toujours des Oies du Capitole.
Et, comme il se doit, vous vous en souvenez, vous, bien sûr, des Oies du Capitole ? Oui ? Vaguement ? Mais l’aviez-vous jamais lu dans le texte ? Aperto libro ? Je vous donne aujourd’hui cette opportunité.
Mais avant, le contexte :
Quatre siècles avant Jésus-Christ, Brennus, chef gaulois, mène le siège devant Rome. La famine règne dans la ville et les assiégés ont mangé tout ce qu’ils pouvaient  attraper, les animaux du cirque, les chiens, les chats, les rats, mais pas les oies. Car elles étaient sacrées, les oies.
Maintenant, les faits :

Une nuit sans lune (les Gaulois) firent monter un des leurs sans armes, pour qu’il reconnaisse le chemin ; se passant ensuite leurs armes aux endroits difficiles, ils s’aidèrent mutuellement, et en se poussant ou en se tirant les uns les autres, finirent par atteindre le sommet, dans un tel silence qu’ils trompèrent les sentinelles et ne réveillèrent même pas les chiens qui pourtant sont attentifs au moindre bruit dans la nuit. Mais ils ne trompèrent pas les oies consacrées à Junon : en dépit des terribles restrictions, on n’y avait pas touché. Par leur présence, elles sauvèrent la situation. Leurs cris et leurs battements d’ailes réveillèrent Manlius, qui avait été consul deux ans plus tôt et s’était signalé à la guerre ; il prit ses armes, cria aux autres d’en faire autant et s’élança. Au milieu de l’agitation générale, d’un coup de bouclier il fit tomber le Gaulois au moment où celui-ci atteignait déjà le sommet. Déséquilibré, il entraîna dans sa chute ceux qui venaient derrière lui. Ses camarades, affolés, laissèrent tomber leurs armes pour s’agripper au rocher : Manlius les tua. D’autres Romains l’avaient rejoint : ils jetaient des projectiles et des pierres sur l’ennemi pour lui faire lâcher prise et tout le détachement bascula dans le vide.
Tite-Live
Histoire romaine – Livre V
Ce qu’il y a de chouette avec de vieux auteurs comme ça, Tite-Live, Suétone et autres César, c’est que leur style ne s’embarrasse pas de fioritures.

Une réflexion sur « Les oies du Capitole »

  1. Quelle bonne idée de nous intéresser ce matin à l’utilité incommensurable de ces volatiles – du moins quand elles sont sauvages – que sont les oies. Les Romains l’ont découverte très tôt comme nous l’écrit notre ami Philippe à l’aide de sa plume d’oie bien trempée dans l’encre du talent. C’est bien pour çà qu’il faut aimer les oies, même si elles sont blanches. L’oie n’est pas seulement utile parce qu’elle se sacrifie de bonne grâce (j’ai bien omis le i) pour notre plaisir en nous offrant son f’oie délectable ou pour nous confi-er son pilon savoureux. L’oie, surtout quand elle est sauvage, est une météorologue fiable, tout comme les grenouilles, qui nous annoncera l’arrivée de l’hiver par son au-revoir à la Saint Hubert. Et quel plaisir elles nous offrent avec leur vol en escadrille dans le ciel. L’oie se prête aussi à toutes sortes de comparaisons sans rechigner. Par exemple, la couleur des uniformes Allemands étaient « caca d’oie », ce qui n’avait rien à voir avec le fait que l’oie se manifeste en cacardant. Un autre exemple est la menace brandie par le père couroussé à sa cancre de fille: « continues comme ça et tu seras gardeuse d’oies »! Et puis notre grand ministre des finances Colbert, ne disait-il pas avec respect, compréhension et une expertise jamais contrariée depuis par ses successeurs: « l’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris ». Oui, j’aime les oies. Ma mère l’Oye a bercé ma tendre enfance avec ses contes.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *