Pas des gens comme nous

Moi,  on m’a toujours dit, Bill, tu sais, les nègres, c’est pas des gens comme nous.

Et c’est vrai que c’est pas des gens comme nous. Il suffit de les regarder, on voit tout de suite que c’est pas des gens comme nous.

Bon, bien sûr, y a la couleur, mais ça, c’est pas le principal. Et puis, moi je dis  que leur couleur, ils y sont pas pour grand-chose. C’est comme leurs cheveux ou leur nez ou leur bouche, tout ça c’est pas vraiment de leur faute.

Je me rappelle le jour où j’ai dit ça un soir à la ferme. Y avait toute la famille en train de diner. C’était juste après la moisson. Je sais plus pourquoi, d’un coup, j’ai dit :

-Mais P’pa, les nègres, si y sont noirs, c’est pas de leur faute !

Dis-donc ! Le père, il a recraché sa soupe, il a renversé sa chaise en arrière et il s’est mis à me courir après à travers la grande pièce avec son ceinturon. Bien sûr, il a fini par m’attraper, mais seulement parce que Bobby, le salaud, y m’a fait un croche-pied au passage, sans ça y m’aurait jamais eu, le père. Mais y m’a eu. Quand il en a eu fini avec moi, j’ai bien dû admettre que si les nègres y étaient noirs et crépus et moches, c’était bien de leur faute. C’est vrai, je l’ai dit, ce soir-là ! Bien obligé ! Mais encore aujourd’hui, je suis toujours pas si sûr que ça que ce soit vraiment de leur faute. Je crois plutôt que c’est juste un coup de pas de chance.

Non mais, à part ça, la couleur et tout, les nègres, c’est pas des gens comme nous. Non mais, d’abord, regardez où ils vivent ! Vous voyez où ils vivent ? Dans ce quartier pourri à la sortie Sud de la ville, sur la route de Montgomery ? Vous avez vu ces baraques, tout de guingois, couvertes en tôles percées, avec deux carreaux de cassés sur trois ? Mais comment y font pour vivre la dedans, bon sang ? Nous, à la ferme, on fait des efforts pour que ça soit chouette ; on vient de refaire le toit ; l’année prochaine, le père a dit qu’on mettrait même l’eau courante. La mère, elle fait pousser trois fleurs devant le porche. Enfin, elle essaie au moins, pour que ce soit joli. Mais chez eux, les nègres, à part la poussière, y a rien. A peine un pauvre petit potager de rien du tout. Non, vraiment, ils font pas beaucoup d’efforts.

Et puis aussi, vous avez vu leurs voitures ? Des vieux machins tout rouillés, tout cabossés, tout sales. Incroyable ! Nous, nos voitures, elles sont pas toujours propres, mais elles sont pas rouillées, et puis on met des chouettes décorations dessus, des plaques « Heart of Dixie », des petits drapeaux sudistes sur les ailes, des trophées de bisons sur le capot (des faux, hein ! Y a longtemps que y a plus de bisons par chez nous ! ). Et puis, nos voitures, on en change au moins tous les dix, douze ans. C’est un minimum. Faudrait quand même pas que les voisins croient qu’on est pauvres. Eh ben, les nègres, eux, ils gardent la même voiture pendant vingt ans, vingt-cinq ans des fois. Non, je vous dis, c’est pas des gens comme nous.

Bon, les maisons, les voitures, c’est une chose. Mais y a pas que ça. Écoutez, je sais pas ce qu’ils apprennent dans leurs écoles, mais, en tout cas, ils sont pas fichus de décrocher un boulot correct. Nous, dans notre école, on apprend des tas de trucs qui nous serviront un jour pour être fermier, garagiste, médecin ou avocat même, peut-être. Eux, tout ce qu’ils veulent bien faire, c’est être pompiste ou laveur de voiture, ou cuisinier au bistrot du coin, ou vendeur chez McAllister, le quincailler. Je me demande souvent, mais est-ce qu’ils ont seulement envie de travailler ?

Leurs maisons, leurs voitures, leurs boulots c’est une chose. Mais y a leurs habitudes aussi : une fois, en me cachant bien, la nuit, j’ai jeté un œil dans un bar du quartier nègre. J’ose à peine raconter ce que j’ai vu là-bas, comment y buvaient, quelle musique du diable ils écoutaient, comment y se tenaient en dansant. Non, vraiment, c’est pas des gens comme nous. Allez voir un peu dans not’ bar à nous en ville, vous verrez not’ musique, ça c’est de la bonne musique, nos chansons, ça c’est de la belle poésie, comment on se tient avec les jeunes filles, ça c’est du vrai respect.

Ah oui, et puis y a les filles aussi, je veux dire les leurs, les négresses ! Toujours là à se tortiller devant nous avec leurs petites robes collées sur la peau, juste pour nous faire avoir de mauvaises pensées et nous faire damner.

C’est vraiment pas des gens comme nous.

Alors, avec tout ça, comment vous voulez qu’on les laisse rentrer dans nos bars, dans nos restaurants, dans nos écoles ? Comment voulez-vous qu’on leur donne des boulots corrects ? Non, on peut pas, c’est pas possible.

Et c’est pas à cause de leur couleur, de leur nez ou de leurs cheveux. C’est à cause d’eux. C’est de leur faute.

L’autre nuit, j’ai vu passer à toute vitesse une bande de voitures rutilantes, avec plein de drapeaux qui sortaient des fenêtres. Il y en avait bien six ou sept qui filaient en klaxonnant vers le quartier nègre. Je les ai bien reconnus, c’était la bande des copains du Shérif. Y a eu un sacré barouf cette nuit-là. Ils ont fichu le feu à trois ou quatre maisons nègres. Ils ont aussi un peu battu deux types qui traînaient par là. Pas morts, les types, mais pas beaux à voir.

Bon, ben, ces types-là, pour que les gars de la bande du shérif leur tape dessus comme ça, pour qu’on brûle leurs maisons, fallait bien qu’ils aient fait quelque chose, non ?

Vous voyez bien que, les nègres, c’est pas des gens comme nous.

 

2 réflexions sur « Pas des gens comme nous »

  1. Attention à la censure sur Facebook .
    Les robots,c’est pas des gens comme nous !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *