Celui qui avait vu Paris en vert de gris à l’âge des premières filles
Celui qui avait regardé la couleur uniforme pâlir et disparaître, faire place aux robes à fleurs, aux cocardes tricolores et aux bals dans les rues
Celui pour qui pourtant ce n’était pas fini
Celui que tentait l’aventure
Celui qui avait rejoint les bruyantes colonnes poussiéreuses qui le menèrent jusqu’au nid de l’aigle
Celui qui en était redescendu, léger, souriant, fort et grandi, mais sans usage ni raison
Celui qui avait cru que tout lui serait pardonné
Celui qui sut bien vite qu’il ne le serait pas
Celui qui est parti avant l’aube, plein sud, poursuivi par sa poussière
Celui qui a traversé dix pays profonds, cent fleuves puissants, mille villages étranges
Celui qui ne s’est arrêté que devant l’océan
Celui qui a tracé des pistes, construit des ponts, coupé des arbres
Celui qui a bâti sa maison un peu plus grande chaque saison
Celui qui avait tant d’amis qu’on l’honorait chaque jour
Celui dont les fêtes duraient jusqu’après l’aube
Celui qui est parti le dernier quand le pays n’a plus voulu des siens
Celui qui a rejoint le brouillard et le froid pour rebondir encore
Celui qui n’a pas vu qu’ici il n’était rien et qu’il était bien tard
Celui qui a tenté de montrer des médailles qu’on n’a pas voulu voir
Celui qui est devenu petit, petit à petit, mais toujours généreux, quelques fois somptueux
Celui qui m’a appelé un soir parce qu’il avait peur de mourir
Celui que j’ai consolé comme un enfant déçu, comme un roi exilé
Celui qui est mort un matin, seul, le cœur serré, le cœur bloqué.
A celui-là, justement.
Magnifique texte qui m’a fait penser au héros de ce livre que je viens de finir « Une vie entière » de Robert Seethaler (que je t’ai commandé et que tu vas recevoir demain)
À tous ceux-là je lève mon chapeau.