Plaidoyer pour les cons

 Exercice de style :  Rédiger un texte pour la défense d’une cause quelconque en respectant scrupuleusement la structure et les débuts de paragraphes d’un texte en 19 points. (Les mots en caractères gras sont les mots imposés)

 1-Il y a de cela de nombreux siècles, les hommes vivaient sans la connerie.

2-Certes, ils pratiquaient allègrement la bêtise, la stupidité et l’ignorance, mais ils ignoraient la connerie. Cela ne dura pas.

3-En dépit des efforts constants des prêtres et des précepteurs, des professeurs et des instituteurs, des philosophes et des écrivains, des journalistes et des chroniqueurs, ou peut-être à cause de leurs efforts constants, la bêtise, la stupidité et l’ignorance allaient sans cesse en croissant, et cela ne dérangeait personne.

4- Cependant, de plus en plus fréquemment, depuis quelques dizaines d’années, il arrive que la bêtise, la stupidité et l’ignorance, ensemble ou séparément, rencontrent la méchanceté. Il suffit alors d’une étincelle ou d’une goutte d’alcool pour que se produise un étrange phénomène de symbiose qui donne naissance à la connerie.

5-Certains vont même jusqu’à prétendre que le même phénomène peut se produire quand la jalousie ou l’envie sont mises en présence d’une dose suffisante de méchanceté. Je n’irai pas jusque là, mais j’étudie la question et je constate que la connerie est a présent parmi nous et ce, de plus en plus.

6- En dépit des énormes campagnes de dénigrement, grassement financées par on ne sait quelles obscures officines, en dépit des tentatives de vaccination et d’éradication promues par je ne sais quelles organisations irresponsables, je suis de ceux qui soutiennent, et ils sont heureusement encore nombreux, que, en tant que phénomène naturel, la connerie doit être protégée.

7-La connerie représente en outre pour ceux qui en sont adeptes, et c’est l’un de ses plus hauts titres, un confort moral que, par une métaphore osée mais efficace, j’assimilerai à des pantoufles intellectuelles.

8-Il n’est pas selon moi d’état plus serein, donc plus enviable, que celui du pratiquant de la connerie, que l’on désignera dorénavant par le vocable « le con« . Le con est conscient de ce qu’il sait tout ce qu’il y a à savoir. Le con ne connaît donc pas le doute, ce mal qui affecte si fréquemment l’homme privé de connerie et qui le conduit aux maux de têtes, à l’angoisse et même à la dépression. Il est de fait que l’on voit rarement un con déprimé. Un imbécile, oui. Mais pas un con.

9-Et on pourrait se demander si la connerie ne devrait pas être rendue obligatoire, je dirai même plus : gratuite, laïque et obligatoire.

10-Si la connerie est encore regrettablement et trop fréquemment moquée, raillée, brocardée par de tristes bateleurs montés sur des estrades devant des foules ébahies, payantes et consentantes, si , quant ils sont au volant, les cons se font bien trop souvent qualifier de sales, c’est bien parce qu’ils n’arrivent pas à se reconnaître entre eux.

11-En réalité, pour la paix sociale, il serait souhaitable que les cons puissent se faire connaître et surtout se reconnaître entre eux. Je proposerai donc de créer une commission paritaire, formée de cons et de non-cons, mais surtout de cons. Son objectif serait de definir des modalités infaillibles de reconnaissance de cons : cravate-club, badge, mimique rituelle, coupe de cheveux, journal sous le bras, enfin toutes les conneries possibles.

12-Mais pourquoi promouvoir la connerie , me direz-vous ? Pourquoi vouloir protéger, encourager, récompenser les cons ?

13-En fait, il est indéniable, comme je l’ai dit plus haut, qu’il existe une caste privilégiée, apatride et cosmopolite dont l’obsession est de lutter contre la connerie et contre ses tenants. On la connaît, cette caste perfide. Elle est surtout composée des corporations que j’ai citées tout à l’heure, professeurs, philosophes, savants, écrivains, poètes. Oh, ils sont nombreux ceux-là qui veulent ralentir et, pourquoi pas, stopper la propagation merveilleuse de notre belle connerie. Mais, rassurez vous, leur nombre décroît sans cesse car, chaque jour, ils sont plus nombreux à rejoindre les rangs des cons triomphants. Cependant, à l’heure actuelle, les vagues obstinées de la connaissance, de la tolérance et de la bienveillance assaillent chaque jour la falaise de la connerie. Les cons sont menacés, non pas d’extinction, car ils sont vraiment très nombreux, mais de réduction, de persécution. Et, pour répondre à la question à la con qui m’a été posée tout à l’heure, je dirai qu’en tant qu’espèce menacée, ils ont droit à la protection de la société, tout comme les grenouilles à lunettes du Périgord noir.

14- Suffirait-il donc, comme il a été suggéré, de laisser faire la nature pour que les cons soient protégés ?

15-Il est certain que la connerie a une tendance naturelle à se répandre, mais des statistiques récentes ont montré que la tendance à la croissance du nombre de cons était en train de se réduire et qu’on risquait sous peu d’atteindre la stabilité, perspective Ô combien inquiétante et en tout cas contraire aux promesses du gouvernement.

16-Mais, malgré tous les efforts déployés par l’administration, cette tendance à la déflation de la connerie se précise et nous savons de longue date que tout ce qui ne progresse pas régresse, pour finalement disparaitre un jour.

17 – Il est important de réaliser que la connerie est l’un des éléments essentiels, sinon la condition nécessaire, du bien être. Sans les cons qui crient de joie derrière les invités, pratiquement plus d’émissions de télévision en direct. Sans connerie, combien de chaînes TV pourrions nous regarder ? Deux ou trois au maximum. La moitié des journaux et les trois quarts des magazines seraient amenés à disparaitre. Sans connerie, plus de match de football, plus de Tour de France. Ce sont des pans entiers de l’économie qui s’effondreraient. C’est trop triste et j’arrêterai là cette énumération. Sans la connerie pure ou allongée d’un peu d’eau, sans les cons, vieux, petits, sales ou de la dernière averse, sans tout ça, la France ne serait plus la France.

18-Pour pouvoir combattre efficacement une telle perspective, il nous faut nous ressaisir et entreprendre dès demain une nouvelle campagne médiatique qui , n’en doutons pas, conduira le gouvernement à définir et à mettre en œuvre toute une série de réformes. Elles devront porter sur l’éducation, la presse, les modalités électorales, la santé publique, les conditions de travail et le diamètre des pots de confiture.

19-Non seulement il serait fou de tergiverser davantage, mais il nous faut au contraire nous lancer dès à présent et avec enthousiasme dans cette grande œuvre humanitaire qu’est la promotion de la connerie nationale.

3 réflexions sur « Plaidoyer pour les cons »

  1. Après relecture de ce texte fort bien articulé, j’en conviens, et bien écrit – il faut bien que les cours d’écriture servent à quelque chose – je dois reconnaître que sur presque tous les points j’acquiesce!

    Comme je l’ai souligné hier, après soixante treize ans de méditations, je concède en toute lucidité que je fais partie de la communauté et ne saurait, sur ce sujet, comme sur n’importe quel autres d’ailleurs, parler de la planète Sirius. Ce ne serait pas sérieux!

    Mais qu’est-ce au juste qu’un Con?

    Mon petit Robert de 2013 rappelle à son lecteur qu’à l’origine, ce terme désignait le sexe féminin. Ça y est, je vois Philippe se précipiter vers ses ciseaux de censeur… Sur un tel sujet, je redoute l’émasculation!

    Si ce n’est pas coupé net, je poursuis ma lecture de ma bible de la connerie. Les mots,’ nous affirme tonton Sigmund, ‘ne servent qu’à mentir.’ Le petit Robert nous suggère d’employer, pour désigner l’objet du désir, le terme « chatte »! Mais quand elles sont en chaleur, ces adorables petites bestioles soyeuses sont munies de dents fort pointues et de quatre pattes de velours à griffes rétractables. On sait tous ce qu’il arrive des choses rétractables en de telles circonstances. Bref, il vaut mieux, comme Jacques Dutronc, mettre son ‘truc crac boum hue’ dans les cactus qu’il semble tant priser par ailleurs!

    Quant à « déconner, » je tiens de source sure, qu’à l’origine, ce verbe exprimait le fait de sauter en marche involontairement. C’est con quand même!

    Chez Philippe, le culte de l’étiquette lui interdisant de rentrer dans les chambres, il est bien évident que cette étymologie rabelaisienne n’a pu effleurer sa pensée. Aussi, je me rabat sur les définitions qu’il donne lui même du con. Il en fournit pas mal. Celle qui me satisfait le plus est l’inaptitude à douter de soi, l’ignorance crasse du doute!

    À ce compte et à mon humble connaissance, même si je n’ai pas tout lu tout vu tout bu, je n’ai jamais croisé un être humain qui ait parole sur rue, sur livre, quotidien, télé, voire sur le net qui ne dise pas au bout de quelques secondes ou quelques lignes: « les fantasmes, les visions, les perceptions des autres sont ceci ou cela mais la réalité c’est… ce que je vais dire ou écrire! »

    Aucun Français n’y échappe. Les Américains non plus. Et pourtant, le Protestantisme leur a enseigné que le sens n’est pas dans le texte. Ce serait du fétichisme. Même si elles noircissent les Livres Saints, ce n’est pas dans les lignes ni entre celles-ci mais dans la tête du lecteur ou ‘The eye of the beholder!’ que le sens apparaît.

    Peut-être serais-je un peu moins con, en reconnaissant le premier que mes propos, même les plus réfléchis (à venir), les plus cohérents, les plus structurés, documentés, développés en 19 points, etc. ne sont que des ‘stories’ qui viennent s’ajouter aux contes de fées, fables religieuses, propos de juristes, conjectures de savants, discours de sophistes, etc. que les cons que sont les êtres humains (là je m’exclue, on ne saurait être toujours con quand même) prennent pour ‘la réalité.’

    Évidemment, par cette distanciation, je reconnais me rapprocher des Nihilistes du début du XXe. de ceux que Philippe qualifie avec tout le dédain de sa hauteur de ‘caste privilégiée’ faite d »apatrides et de cosmopolites.’

    Le Général m’ayant envoyé au Canada et y ayant rempilé, la France m’a, quelque part, déchu de ma nationalité française. Ma nationalité canadienne n’est pas d’un grand secours car aux yeux de beaucoup de Nord-Américains, n’étant pas né sur ‘leur’ continent (acquis par l’un des plus grands génocides que l’Humanité n’ait jamais connu: 32 millions de morts), ma citoyenneté est suspecte.

    Étant devenu, de par mon patriotisme rempilé, apatride, il ne me reste que le Cosmopolitisme.

    Si c’était un mouvement prometteur sous Victor Hugo, Zola, Jaurès et même des Américains, du temps des ‘Reds,’ comme John Dewey, aujourd’hui, s’y attaquer, c’est tuer un ‘Dead Horse’.

    Le Cosmopolitisme a été anéanti par les deux guerres mondiales. Comme si la première n’avait pas suffit! Mais il l’a été aussi éradiqué par les médias modernes: la photo, le cinéma, la radio et leurs rejetons High Tech qui privilégient l’apparence au raisonnement livresque. Si certains, les ‘bimbos boys,’ peuvent se réjouir d’être photogéniques, d’autres sont persécutés pour ‘délit de sale gueule’ ou ridiculisés pour leur accent. Seule consolation ou désolation pour les uns ou les autres, les boucs émissaires ne sont pas toujours les mêmes brebis galeuses et les stars de l’écran, petit ou grand, naissent et disparaissent avec les critères éphémères de la beauté.

    Que Philippe nomme donc les Apatrides et les Cosmopolites auxquels il pense!
    J’en cherche désespérément. Nicolas Hulot pourrait faire l’affaire mais, comme Jacques Tati l’avait justement anticipé, il y a cinquante ans, Monsieur Hulot est toujours en vacances!

    Sûrement pas Mélanchon! Certes, comme tout le mode, il pense qu’il faut miser sur la solidarité transnationale pour combattre le terrorisme. Même les Américains recherchent cette solidarité mondiale-là! Mais il s’empresse de suggérer que les Français pourraient occuper une meilleure place dans la compétition planétaire si seulement ils parvenaient à exploiter leurs ressources maritimes. Il rappelle que la France est dotée, grâce à ces territoires d’outre mer – ses ex-colonies quoi – d’énormes espaces marins. Peut-on être à la fois solidaire et compétitif? C’est un oxymore! Un autre ‘dead horse!’

    Les Cosmopolites les plus sérieux, aujourd’hui, sont allemands. Je pense, entre autres, à Jurgen Habermas et Ulrich Beck qui, évidemment, en reviennent à Kant! Mais, s’ils sont de bons conseils, ils restent pratiquement inconnus.

    Texte polémique? Comment ne pourrait-il pas l’être? Contrairement à celle de Philippe, toute ma vie a été investie dans la philo, les ‘sciences’ humaines, la lecture et l’écriture d’essais. Mes ‘intimes convictions’ (et non mes certitudes) m’amènent à penser que le cosmopolitisme libertaire fondé sur l’acceptation de la connerie humaine (là on se rejoint) pourrait peut être nous offrir un monde de cons et fiers de l’être, sans dieux ni maîtres!

    Ça ressemble un peu à du Michel Onfray, mais il est trop gaulliste pour être Cosmopolite!

  2. Je viens de promettre que je lirai ce texte sans mots dire!
    Comme on sait ce que deviennent les promesses dans les nations rivales, et qui dit nation, dit con pète y sion, je m’empresse de me dédire pour gagner de court cette compétition!
    Suggestion: Ne jamais séparer le monde en cons et pas cons! Pour parler d’un tel sujet, il faut le bien connaître! Humains, trop humains, nous sommes tous plus ou moins cons.
    Tout dépend du moment où l’on nous sur-prend! Tout dépend surtout de qui nous regarde et nous entend. Heureusement, comme personne ne cherche sérieusement à nous perce-voir ou nous écouter (à moins d’être sur écoute)… Nous ne sommes pas si cons que ça!
    Quant aux sots métiers, je me souviens d’une remarque d’un homme de théâtre qui, dans le bon temps, avait demeure à Saint Tropez sur la route de La capilla. Il a écrit et la presse de l’époque l’a rapporté: « Il n’y a point de sots métiers… il n’y a que de sottes gens! » Pour ne pas offenser Philippe, je ne dirai pas dans quelles professions on les retrouve, ces congs! Tous les promoteurs immobiliers se reconnaissent-ils en Donald Trump?

  3. Super,je l’imprime pour en faire un jeu lorsque nous sommes avec des amis qui ne sont pas des cons et que le temps est à la pluie dans une campagne tristounette.

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