Je hais SFR et NUMERICABLE (Critique aisée n°68)

Je hais SFR et NUMERICABLE.

Autrefois, les escrocs du quotidien étaient repérables et repérés. Votre père vous avait bien-sûr mis en garde : « Écoute-moi bien, mon petit. Un jour, tu quitteras cette maison et tu devras te frayer seul un chemin à travers la jungle de la vie. Alors souviens-toi de ce que je vais te dire : méfie-toi des vendeurs de voiture d’occasion, des marchands de cuisine et des négociants de matelas. Tu dois savoir que si tu entres dans une de leurs officines, tu en ressortiras muni d’un objet trop cher, dont tu n’avais pas besoin, et de mauvaise qualité ».

Dans des termes à peine différents, vous-même avez retransmis à votre progéniture une consigne similaire. Vous avez même ajouté à la liste maudite les plombiers de l’urgence, les serruriers de minuit et les vendeurs de pompes à chaleur, de cheminées à insert et de toitures photovoltaïques. Un court instant, vous aviez pensé inclure les courtiers en placements défiscalisés, mais vous avez réalisé que vos enfants n’étaient pas assez stupides pour tomber dans ce genre de panneau.

Pourtant, ce que vous n’avez pas fait, car il n’y avait pas encore lieu de le faire, ce que vos enfants feront bientôt pour les leurs et qu’ils auraient dû faire pour vous, c’est d’instaurer une méfiance extrême et définitive envers les marchands d’Internet et de téléphonie mobile.

De même qu’il y a eu les « Nouveaux Monstres » et les « Nouveaux Sauvages« , il y a les « Nouveaux Escrocs« . Voyez plutôt :

Lorsque vous entrez dans l’un de ces pimpants magasins, vous n’êtes pas découragé par la longue file des postulants car vous pensez qu’il faudra bien y passer un jour ou l’autre, alors pourquoi pas aujourd’hui. L’attente se prolonge et, par moments, vous êtes prêt à repartir. Mais vous vous dites que toute cette attente pour rien, ce serait stupide. Vous restez. La cliente qui est devant vous vous semble bien pointilleuse avec toutes ses questions idiotes. Finalement, elle signe. Le vendeur s’éloigne vers la caisse avec l’enquiquineuse en vous disant qu’il sera tout à vous dans une minute. Il revient dans huit.

Et là, tout en amabilité survoltée, il vous abreuve de mégabits sidéraux et de sms illimités, de remises exceptionnelles et de remboursements différés. Il vous submerge d’informations dont vous ne comprenez pas le tiers. Vous ne demandez pas d’explications. Vous avez raison, vous ne les comprendriez pas. Devant ce tsunami d’arguments technico-commerciaux, vous cessez de lutter et, épuisé, vous vous abandonnez et vous laissez même aller jusqu’à choisir des accessoires presque aussi onéreux que le matériel de base, parce que là, là, vous y comprenez quelque chose. Dix minutes plus tard, étourdi et heureux, vous ressortez dans le soleil, muni de votre nouvel appareil, box ou téléphone, avec lequel vous venez de vous marier pour deux ans au moins.

De retour chez vous, inévitablement, vous constatez  que quelque chose ne va pas : vous n’arrivez pas à configurer votre messagerie, la connexion internet vous est refusée, vous avez perdu tous vos contacts, le bidule ne rentre pas dans le machin, il manque un câble, le formulaire de remboursement différé est incompréhensible et, de toute façon, il est périmé depuis deux jours, enfin toute cette sorte de choses qui vous conduisent à faire appel à l’assistance, le fameux Service Clients.

Dire à ce moment de l’expérience : « et c’est là que ça se gâte !« , serait une aimable litote en même temps qu’un détestable syntagme figé. Non, ça s’est gâté depuis longtemps, en fait depuis le moment où vous êtes rentré dans la boutique, et, maintenant le terme exact est : « ça empire !« .

Après avoir entamé votre patrimoine, la société susnommée va maintenant s’attaquer à vos nerfs avec une technique extrêmement raffinée et efficace.

Cela commence avec une musique enthousiaste. Puis une voix bien élevée vous remercie d’avoir appelé le Service Client. Suivent quelques mises en garde sur le coût de l’appel et sur la possibilité de l’enregistrement de votre conversation. A nouveau un peu de musique ou un message vantant les produits de la société. Arrivent enfin des nouvelles de votre temps d’attente, souvent estimé à moins de cinq minutes, à moins que vous n’entendiez à ce moment un robot vous dire sèchement que le service que vous demandez n’est pas ouvert à cette heure, ou que, compte tenu des très nombreux appels, il vaudrait mieux remettre ça à plus tard. C’est vous qui voyez. Vous voyez et décidez d’attendre. Musique, publicité, musique. Un  crachotis dans votre téléphone vous indique que les choses évoluent. Des bruits de plateforme, des conversations animées, des rires lointains et des toussotements nerveux vous confirment que vous êtes en ligne. Une voix venue d’outre-tombe pour le niveau sonore et d’outre-mer pour l’accent finit par surmonter le brouhaha et se présenter en tant que Bonjour-je-suis-Valérie-que-puis-je-faire-pour-vous ?

Votre énervement descend d’un cran et vous vous dites que vous êtes sur la bonne voie.

C’est une erreur, excusable pour l’homme inexpérimenté que vous êtes encore, mais erreur quand même, et grossière de surcroit, vous auriez pu vous renseigner. Le doigt que vous avez mis tout à l’heure dans l’engrenage en composant le numéro du Service Client va maintenant être suivi par la main, l’avant-bras, le coude. On connaît même des cas où la tête y est passée.

Tour d’abord, vous devez répondre à un interrogatoire serré : Non, prénom, adresse, numéro de client, numéro de téléphone, adresse email, type de l’appareil, numéro de série de l’appareil, date d’achat, lieu d’achat. Et puis :

–Merci monsieur, quel est votre problème ? Je vous écoute.

Ah, on avance ! Vous exposez votre problème, mais l’attente ou l’interrogatoire vous ont tellement énervé que même à vos yeux, l’explication que vous donnez ne parait pas claire.
A l’autre bout du fil, on commence à vous prendre pour un débile, mais on reste poli.
Vous tentez une nouvelle formulation de votre problème. Cette fois-ci c’est clair :

–Merci, Monsieur, j’ai compris votre problème, mais vous n’êtes pas au bon service. Je vous le passe. Au revoir Monsieur, et merci d’avoir appelé le Service Client. Bip, musique.

Si la communication n’a pas été coupée, ce qui peut arriver, il suffit d’un peu de chance, une autre voix, venue d’un autre bout du monde, ne tarde pas plus de quatre minutes à se faire entendre :

–Bonjour-je-suis-François-que-puis-je-faire-pour-vous ?

Vous commencez à exposer votre problème, mais vous êtes tout de suite interrompu par un :

­–Pardon, Monsieur, mais pour accéder à votre dossier, j’ai besoin de quelques renseignements. Puis-je avoir votre nom, s’il vous plait?

Vous cachez alors le micro de votre main droite et vous poussez deux fois le cri du coyote. C’est reparti, et vous commencez à regretter d’être venu. Nom, prénom, adresse, numéro de client, numéro de téléphone, adresse email, type de l’appareil, numéro de série de l’appareil, date d’achat, lieu d’achat.

–Merci monsieur, quel est votre problème ?

Vous chassez de votre mieux la très nette impression de déjà-vu qui vous assaille et vous recommencez l’exposé, cette fois-ci de façon brillante et concise, car vous avez maintenant de l’expérience.

François-du-bout-du-monde pose deux ou trois questions complémentaires, puis il reformule votre problème en ses propres termes. C’est cela ! Tout à fait cela ! Vous n’auriez pas pu dire mieux ! Il a compris !

–Maintenant, ça ne devrait plus être long, vous dites-vous in petto. Le type a l’air intelligent, continuez-vous sur le même ton. Mais :

–Monsieur, je dois consulter mon supérieur. Je vous mets en attente. Je vous reprends dans quelques instants. Surtout, restez en ligne. Bip. Musique. Tuut-tuut-tuut…

Et là, vous comprenez que la communication avec l’homme intelligent a été coupée. Sur le caractère volontaire ou non de la coupure, j’ai mon opinion, mais je la garde pour moi, pour ménager la surprise.

L’idée d’avoir à repasser par la musique d’attente, la publicité, l’annonce du délai, la voix lointaine d’une autre Valérie, l’inévitable interrogatoire, puis à nouveau l’attente, la musique, puis enfin la voix d’un autre François, le deuxième interrogatoire…, cette idée-là vous est insupportable. Et puis de toute façon, c’est l’heure de diner. Et vous remettez à demain. Oui, mais demain, vous serez très occupé. Donc, après-demain. Peut-être.

Et c’est ainsi que vous parcourez docilement le chemin balisé par la société susnommée, chemin qui vous conduira presque inéluctablement à l’abandon de votre idée de réclamer quoi que ce soit. Selon une enquête tout à fait sérieuse menée sur un échantillon indubitablement représentatif et tout et tout, 88,7% des appels du type de celui que vous venez de faire n’entrainent pour le fournisseur aucune action, pour la simple raison que c’est le demandeur lui-même qui abandonne, les 11,3% complémentaires étant des erreurs de numéro.  De là à penser que c’est une tactique délibérée, il y a encore moins loin que du Capitole à la Roche Tarpéienne.

Je n’irai pas plus loin dans la description des malheurs que j’ai rencontrés par le passé et que je rencontre encore aujourd’hui avec les fournisseurs susnommés, car vous savez par expérience personnelle de quoi je parle. Je tiens néanmoins à la disposition des incrédules le récit complet de mes dernières aventures avec SFR d’une part et NUMERICABLE d’autre part. C’est très long, surtout avec les pièces annexes, et c’est très pénible, vous êtes prévenu.

Par ce texte, je n’ai pas cherché à vous apprendre quoi que ce soit, parce qu’on n’apprend jamais rien des autres et qu’il faut souffrir ou payer soi-même -ou les deux- pour savoir. Je n’ai pas cherché non plus votre compassion, car franchement, vous avez autre chose a faire que d’écouter les jérémiades d’un consommateur béotien.

Non, j’ai écrit ce texte en espérant que quelqu’un de SFR ou de NUMERICABLE -ou des deux- tombera dessus. Alors, à coup sûr, celui-là sera mortifié. Il me présentera ses excuses sur le champ, juste avant d’entreprendre une réorganisation complète du Service Commercial, du Service Client, et pourquoi pas de la Direction Générale, oui, surtout de la Direction Générale, de sa société.

Avec, s’il le souhaite, mes conseils éclairés.

2 réflexions sur « Je hais SFR et NUMERICABLE (Critique aisée n°68) »

  1. Bravo .Bien décrites ces corvées insupportables qui généralement n aboutissent à rien .

  2. Bien vu! J’ai moi-même terminé cette fastidieuse lecture avec la furieuse envie de sacrifier une fois de plus, par une torture appropriée à rendre fou, quelques uns des dirigeants de ces entreprises. J’ai quelques autres exemples du même acabit à ajouter. Drôle de civilisation!

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