Vous entrerez dans la carrière (Critique aisée n°73)

Il y a des tas de bonnes raisons pour aller aux Baux de Provence : le site des Alpilles, falaises grises découpées dans un rocher fragile, qui se détachent sur un ciel bleu profond, L’Oustau de Beaumaniere, restaurant qui mérita autrefois les trois étoiles qui faisaient se déplacer la France entière, le Chateau des Baux, forteresse du XI ème siècle, et les carrières.
Les carrières ont été utilisées pendant des siècles pour l’extraction du calcaire blanc qui a servi notamment à construire le Chateau et les demeures de la Cité des Baux. Plus récemment, elles avaient servi de décor à Jean Cocteau pour le tournage du Testament d’Orphée.
Rebaptisées Carrières de Lumières, elles accueillent à présent des spectacles multimédia. Les premiers ont été consacrés à Picasso, Cézanne et autres peintres mineurs. Aujourd’hui c’est Chagall qui prend la suite.
Imaginez une grotte gigantesque, constituée de salles immenses communiquant largement entre elles. Imaginez les parois de ces salles d’une quinzaine de mètres de hauteur, absolument planes, verticales et blanches.
Imaginez maintenant que, venant de l’implacable luminosité d’un beau jour de fin d’hiver, vous entriez dans la semi-obscurité de cette grotte artificielle. Vous êtes tout d’abord saisi par le froid, puis impressionné par l’ampleur des lieux. Les murs et les énormes piliers, faiblement éclairés, laissent parfois voir la trace des découpages des blocs qu’on y a prélevés. La température qui règne, la présence de quelques visiteurs, leurs silhouettes engoncées, leur démarche hésitante et leurs murmures confus vous rappellent votre dernière visite à la Cathédrale de Reims.
Mais les lumières faiblissent et disparaissent. Vous vous immobilisez. Et puis naissent quelques taches de couleur, sur les murs, sur les piliers, au sol, devant vous, derrière, partout. Une musique enfle, les taches s’agrandissent, se multiplient, s’avivent et se rejoignent. Vous commencez à reconnaître les visages, les silhouettes, les foules, les animaux fantastiques, les chandeliers, les décors de Chagall. Les tableaux se précisent, se répètent, s’animent en décalage jusqu’au fond de la salle la plus lointaine. imageVous n’osez plus marcher sur le décor, vous voulez voir partout à la fois, vous titubez. Alors vous rejoignez un mur, et là, en sécurité, vous vous laissez submerger par le spectacle. Quand vous sortez de là, frigorifié et bouleversé, vous avez l’impression d’avoir toujours compris l’œuvre de Chagall.
Deux conseils :
a) couvrez-vous ;
b) ne manquez pas « Alice », hommage à Lewis Caroll, spectacle encore plus puissant et plus émouvant que celui qui est consacré à Chagall.

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