Lettre d’Eve à Lilith

Avertissement
Tout le Monde connaît Eve, la Femme d’Adam, mais il est possible que quelques-uns d’entre vous ne sachent plus tout à fait ou, plus probablement, n’aient jamais su qui est Lilith.
Avec les quelques lignes qui viennent, vous en saurez bien assez sur cette Créature pour comprendre ce qui va suivre.
Lilith fut la première femme d’Adam, avant Eve. Comme Adam, et en même temps que lui, elle fut façonnée avec de l’argile, mais son argile à elle était de mauvaise qualité, ce qui explique son caractère démoniaque. La preuve : elle refusa tout de suite de se soumettre à l’Homme. Cette situation créa bien du souci au Créateur qui, pour la remplacer auprès d’Adam, dut fabriquer Eve à partir d’une côte d’Adam. Lilith devint très vite un démon sexuel, une femme fatale, une croqueuse de fortunes, une activiste féministe, bref, une personne peu fréquentable.
Voici donc la lettre que Madame Eve de Lagenaise écrivit récemment à Mademoiselle Lilith Méfis-Tofelesse.
La réponse de la demoiselle est attendue pour demain.

***

Eve de Lagenaise
1 bis rue de Paradis
Edenbourg

Mademoiselle Lilith Mefis-Tofelesse
666 impasse Denfert
Hadesville

Mademoiselle,

Vous savez qui je suis et vous connaissez sans doute mon existence depuis une éternité. Je ne connais la vôtre que depuis quelques heures. Vous possédez donc sur moi un avantage considérable. Aussi, soyez indulgente et, si agaçante qu’elle puisse vous paraître, poursuivez s’il vous plait la lecture de cette lettre.

Ce que vous savez de moi, Mademoiselle, vous l’avez appris d’Adam, bien sûr. Depuis le temps que vous êtes sa maîtresse, il a eu tout le temps de vous dire bien des choses sur moi.

Ses confidences sur l’oreiller vous ont appris que je suis de taille moyenne, blonde, ou plutôt châtain clair, et douce, et aimable, que je fais assez bien la cuisine, que je lui ai déjà donné deux enfants, que je veux en avoir au moins quatre de plus et les élever tous dans le respect de leur père et dans la crainte de Dieu. Il vous a certainement dit aussi que j’ai une légère tendance à grossir, que je suis faible et peureuse, que je pleure facilement, que je ne supporte pas l’alcool et que je n’ai aucun sens de l’humour. Il a dû vous dire enfin qu’il s’ennuyait à la maison, que la vie que je lui offrais était trop monotone, sans piquant, sans aventure, sans surprise, et que c’est pour cela qu’il aimait être avec vous.

Parvenue à ce point de ma lettre, vous vous demandez comment, après toutes ces années d’aveuglement, j’ai finalement découvert que vous étiez amants. Eh bien, Mademoiselle, c’est tout simple ! C’est parce qu’il me l’a dit. A mon tour de savoir beaucoup de choses sur vous ! Je sais que vous êtes belle, brune, élancée, que vous tenez formidablement l’alcool, que les bébés vous dégoutent et que les enfants vous agacent, que vous ne craignez ni ne respectez rien. Je sais tout, vous dis-je, il m’a tout dit ! Je sais que vous êtes sarcastique, ironique, moqueuse, drôle, que vous le faites rire tout le temps, que vous pouvez être séductrice, charmante, romantique, mystérieuse. Je sais aussi que vous le faites pleurer quand cela vous amuse. Je sais que vous êtes exigeante, que vous pouvez être méchante et sadique, ou soumise et masochiste, où les quatre à la fois. En tout cas, il paraît qu’avec vous, on ne s’ennuie jamais : on rit, on pleure, on boit, on dort peu, mais on ne s’ennuie jamais.

A présent, vous pensez que je vais vous demander de ne pas briser un foyer exemplaire, né dans l’amour juvénile et la promesse d’une fidélité sans faille. Vous pensez que je vais tenter de faire jouer vos bons sentiments et vous supplier de mettre un terme à votre aventure avec Adam. Vous pensez que je vais vous promettre, si vous acceptez, une reconnaissance éternelle et, pourquoi pas, un peu d’argent, ou même beaucoup?…Vous vous préparez sans doute à jeter cette lettre au feu en ricanant, ou peut-être êtes-vous déjà en train de mijoter une réponse cinglante et sans pitié.

C’est bien à cela que vous pensez, avouez-le.

Eh bien, Mademoiselle, vous vous trompez du tout au tout. Ce courrier n’est pas une lettre de supplication mais un message d’information.

J’ai donc l’honneur de vous informer que si Adam m’a tout raconté à votre propos, s’il m’a donné tous ces détails, c’est parce qu’il est fatigué de vous, lassé de vos caprices et de vos changements d’humeurs, épuisé par la tension perpétuelle que vous faites régner autour de vous, détruit par les positions excentriques, les horaires indécents et la mauvaise cuisine que vous lui imposez. Oui,  Mademoiselle, sachez-le, Adam est fatigué. Adam en a marre. Adam veut rentrer à la maison. Adam veut retrouver son petit paradis douillet. Adam veut remanger des gratins de légumes, se blottir contre sa petite blonde bien confortable, lui faire doucement l’amour à la missionnaire, et dormir, dormir…

Voilà ! Voilà ce qu’il veut notre petit Adam, seul point que vous et moi ayons jamais eu en commun.

Connaissant les hommes comme vous les connaissez, connaissant Adam comme le connaissez, vous ne serez pas surprise quand je vous aurai dit qu’il m’a chargée de vous informer de votre rupture. Pauvre biquet, il n’en avait pas le courage !

Nous vous prions donc, Adam et moi, d’agréer, Mademoiselle, l’expression de notre meilleur souvenir.

Eve de L.

 

3 réflexions sur « Lettre d’Eve à Lilith »

  1. Beau texte! Nul doute! Rien à dire sur la forme! Exemplaire même!

    Coté philo ou contenu (c’est toujours un jeu de mot croustillant lorsqu’on parle de maîtresses et de ‘légitimes’) c’est aussi très intéressant!

    Je sais que Philippe, toujours très élégant et très classe british, déteste ce genre de jeux de mots! Je vais le gâter!

    Modestement, vu mes biais pour l’étude de la com., dans son sens noble (il y en a un aussi, il consiste à étudier le processus complet plutôt que de se contenter de jouer les ‘communiquants’ qui n’en connaissent, par la pratique, que le côté du locuteur) cela soulève deux questions sur CE que l’on qualifie d’information.

    1) La première touche la préséance.

    Il est stratégiquement crucial d’être informé sur l’autre avant qu’il ne le soit sur nous. C’est comme cela que l’on remporte des marchés et des victoires militaires.

    La démonstration de cette affirmation nous est magnifiquement donnée par Tzvetan Todorov dans La conquête de l’Amérique ou La question de l’autre (1982). Il y explique le triomphe surprenant, vu le rapport des forces en présence, du conquistador Cortès sur Moctezuma, le Pré-columbien que le monde avait perdu et que Christophe Colomb, dans son errance serendipitique, a retrouvé.

    Pour Todorov, le succès de l’Espagnol s’explique pour deux raisons essentielles.

    – Premièrement Cortes savait d’où il venait, c’est une lapalissade! Mais, surtout, il savait que Moctezuma ignorait tout de sa provenance outre-Atlantique. Cortes savait ( je vais dire comment ci-dessous) que Moctezuma, pris au dépourvu, s’imaginait bien des choses à son sujet.

    Il croyait, entre autres que Cortès était l’incarnation des revenants d’une tribu minoritaire qu’il avait jadis massacré. Les voiles des Galions ibériques symbolisaient aux yeux du natif, des nuages chevauchés par des divinités vengeresses, etc.

    – Deuxièmement, Moctezuma, grâce à ses bien connus courreurs-estafettes (qui étaient aussi rapides que les chevaux arabes que les Conquistadores avaient amenés sur leurs caravelles) était informé des positions et déplacements des troupes de Cortès.

    Cortès, lui aussi, jouissait d’un réseau d’informateurs sur les positions et mouvements de l’adversaire. Mais en plus de ces informations géographiques, Cortès s’efforçait d’en savoir le plus possible sur les façons de voir le monde et surtout de le voir par ses adversaires.

    Pour obtenir ces renseignements cruciaux, il eût recours à la Malinche – et c’est là que les grands esprits se rejoignent – car la Malinche était une Maya dont Moctzuma, un AztecK (au poivre – désolé C trop facile!) avait fait son esclave. L’aspect crucial de la chose est que la Malinche était bilingue, parlant sa langue d’origine et celle de la civilization de Moctezuma et, surtout, féministe avant l’heure, elle détestait Moctezuma qui l’avait prise de force.

    Cortès, s’adaptant vite aux coutumes locales et plus rusé ou mieux armé ou pourvu que Moctézuma, il la prit aussi dans son lit . Sur l’oreiller, devenue trilingue par entremêlement des langues, elle lui révéla tout de Moctezuma; de ses troupes et surtout de ses états d’esprit et de cœur (Hearts & Minds).

    Si les espions sont souvent considérés comme des agents doubles, elle était triple et peut être même quadruple puisqu’elle comprenait aussi la langue Inca, ce qui permit à Cortès de se faire un petit encas, ‘on the side!’

    2) L’autre question que m’inspirent les propos d’Ève sur Lilith (qui n’était pas pucelle – là encore trop facile!) est celui de l’origine de l’information.

    Celle-ci provient-elle de la personne observée, Lilith, vue de très près par Adam et transmise à Ève, sans doute sous la torture physique ou psychologique, ou est-elle le fruit de l’imagination d’Ève qui la concocte afin de pouvoir en arriver à une argumentation persuasive dans la conclusion de sa missive?

    J’ai donc très hâte de lire la réponse de Lilith!

    Je me souviens avoir vu, dans mon enfance, un excellent film sur le divorce. Il a été réalisé (le scénario a été écrit) par un avocat qui a eu la brillante idée de nous présenter en deux films la version d’un conjoint (là encore, j’évite le jeu de mots goguenard) puis celle de l’autre!

    Philippe serait-il donc sur sa piste… dont il est vrai que cet avocat cinéaste n’a pas le monopole? Je crois que c’est un nom comme Cayate, Pierre même! mais pas sûr et trop paresseux pour aller voir sur la toile!

  2. Sans savoir pourquoi, je retrouve dans cette lettre un air de Brassens qui peignait en vers et en musique des portraits de femmes de toutes sortes, Pénélopes ou Créatures, séparément sans les opposer, et comme l’avant propos le fait très justement, j’emploie le mot Créature à dessein dans son acception ancienne de femme de mauvaise vie, peu honorable.

  3. Déja à cette époque les femmes se disputaient les hommes! Que dis je,l’homme!
    Et ben! J’ai l’impression que déja il y avait une lutte entre les femmes contre le mariage pour tous, et celles pour les amours libres et sans dominations aucune.

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