Les trois Marius

Dans Cinématurgie de Paris, un livre que j’ai déjà eu l’occasion de vous recommander, Pagnol raconte comment la version de sa fameuse pièce de théâtre Marius fût finalement tournée ainsi que vous la connaissez.

La pièce connaissait un énorme succès, jouée sans interruption depuis deux ans par Raimu, Fresnay, Charpin, enfin ceux que vous connaissez.
Bob Kane, patron de la Paramount en France voulait tourner la pièce, mais il considérait que des comédiens de théâtre n’étaient pas capables de jouer dans un film parlant, ou plutôt pas capables d’attirer le public.
Les noms qu’il citait pour tourner le film ne vous diraient rien ou pas grand-chose aujourd’hui, mais c’étaient ceux de véritables vedettes du cinéma de l’époque.
Pagnol se battit très fort pour imposer les comédiens qui jouaient sa pièce et il obtint gain de cause. Voici ce que lui dit Kane (La scène se passe en 1931 et c’est Pagnol qui raconte) :

      –Voici, me dit-il, ce qui est convenu. Tu seras le superviseur de la production française, et tu auras pour collaborateur Alexandre Korda. Le film sera joué par tes acteurs puisque tu y tiens. De plus j’accepte de te donner des droits d’auteur sur les recettes, ce qui me vaudra de vifs reproches télégraphiques de la part d’Hollywood. Mais, en échange de ces sacrifices, tu m’autorises à tourner comme il me plaira une version allemande et une version suédoise de ton film. Je ferai, pour ces versions, les coupures qui me paraitront nécessaires, je choisirai les acteurs à mon goût, je changerai le titre, bref, tu me laisses une entière liberté. Es-tu d’accord ?

Je ne discutai rien. Je pouvais, enfin, faire un film français à ma guise : les versions étrangères m’importaient peu.

(…) Le film fût terminé en cinq semaines. La projection durait deux heures, et c’était le plus long film qu’on eût jamais réalisé.

Au cours d’une conférence, tous les chefs de service – américains ou français – se déclarèrent horrifiés par la longueur des dialogues et prétendirent qu’il fallait en couper au moins quarante minutes. (…)

De plus, il était très clair et très évident pour tout le monde que les véritables films de Marius étaient la version suédoise et la version allemande, qui avaient été réalisées avec de vrais acteurs de cinéma, un vrai treatment (c’est-à-dire que le scénario department avait rendu la pièce méconnaissable), un vrai découpage (c’est-à-dire que la plus longue des prises de vues ne dépassait pas trente secondes) et une vraie « mise en scène »(c’est à dire que l’appareil s’était continuellement promené à travers le décor comme s’il tournai autour du pot.)

Pour la version française, elle était considérée comme un ouvrage d’amateurs (…) la vie de ce navet devait être courte, on en serait quitte pour une semaine de ricanements…

Il y eu donc trois versions tournées simultanément. Les versions suédoise et allemande connurent chacune un four étourdissant. On sait ce qu’il advint de la version française…

7 réflexions sur « Les trois Marius »

  1. Effectivement, c’est rectifié… Et ce n’est certainement pas moi qui jetterai la première pierre à qui pèche par erreur de manipulation de ces technologies trop serviles.

    Tu as raison de profiter de l’Amérique avant que Trump soit intronisé.
    Je retire donc mes commentaires – ainsi devenus infondés – sur le ‘triplon’!

    Quand tu auras récupéré l’usage de ton deuxième doigt et que tu seras à l’abri du vent (il est vrai que le Golden Gate ne peut se traverser qu’en cabriolet ou ‘convertible,’ musique à fond et cheveux au grand vent) tu pourras aussi effacer mon commentaire ainsi devenu impertinent!

    Bonne Californie, l’Amérique de la légèreté, de l’insouciance et de la créativité! La côte Ouest ne pourrait-elle pas se séparer de l’Amérique lourde de Trump et rejoindre le Canada qui vient de rejoindre l’Europe, au moins commercialement?

  2. Écrire un commentaire articulé d’un seul doigt dans le vent a l’extrémité sud du Golden Gate n’est pas si facile. Mais je crois avoir rectifié.

  3. Le facteur frappe trois fois…

    Effectivement, j’avais lu un peu vite la dernière phrase du premier paragraphe de Pagnol et omis le tout petit bout de phrase: « je choisirais les acteurs à mon goût. » Pour le reste, il me semble que mon questionnement était légitime et je te remercie des compléments d’information que tu apportes si gracieusement…

    Maintenant, était-ce bien nécessaire de répéter (ou de reproduire, j’espère involontairement) trois fois tout cela!

    Certes, Trump, le communiquant a remis Goebbels à la mode. Ce dernier, propagandiste du 3e. du Reich ne cessait de répéter: QUOTE: « Répétez, Répétez, Répétez, (3 fois) il en restera quelque chose! » UNQUOTE…

    Ce qui me reste de cette triple affaire est qu’il n’y a pas eu trois versions du film de Pagnol mais le film de Pagnol que nous pouvons encore voir et interpréter à notre guise et deux ‘remakes.’ Un allemand et un suédois dont nous pouvons dire ce que nous voulons puisqu’ils ont disparus avec la quasi totalité de leurs publics respectifs, les survivants ayant plus de 80 ans et ne s’en souviennent guère, à moins, bien sûr, qu’ils l’aient vu 3 fois. Mais alors ils l’auront confondu avec les 3 sifflements du train de midi qu’attendait anxieusement Gary Cooper et Grace Kelly (qu’un autre gros connard t’a empêché de féliciter ou de consoler à la fin d’une fameuse partie de chasse Solognaise). C’est vrai que ça aussi j’ai dû le lire trois fois!

  4. Comme parfois, je n’ai pas tout compris du commentaire de RJR, mais je peux répondre au moins a ses questions précises sur le film qui-même, questions que je reproduis ci-dessous:
    QUOTE :
    Philippe conclut en nous révélant le sort des trois montages:
    « Il y eu donc trois versions tournées simultanément. Les versions suédoise et allemande connurent chacune un four étourdissant. On sait ce qu’il advint de la version française… »
    Comme les Rabbins, je me pose alors différentes questions.
    A-t-on vraiment tourné trois versions?
– Scènes refaites 3 fois?
– Même scènes prises à partir de trois caméras n’ayant pas le même point de vue et donc selon des perspectives ou angles différents?
– ou plutôt, ce qui me semble le plus probable: même scènes, mêmes caméras, même ‘rush’ de départ mais découpages et montages forts différents selon les publics cibles! Et évidemment, différentes bands sonores.
    UNQUOTE

    Je pensais que le texte de Pagnol était clair, mais précisons quand même : il ne s’agissait pas de trois montages.
    Il y eu bien trois films, mis en scène par Korda, mais joués par 3 troupes différentes : une suédoise, une allemande et une française.
    Bien que basés sur la même histoire, les scripts étaient très différents, la version française que l’on connait étant la pièce intégrale et les deux autres étant raccourcies pour satisfaire aux demandes d’Hollywood. Il est peu vraisemblable que les 3 versions des scènes aient été tournées à la suite : les temps d’attente des comédiens auraient été bien trop longs pour leur patience, en particulier celle bien connue de Raimu, qui était sur ce plan une vraie diva.
    Par ailleurs, on sait que les décors du film sont des plus minimalistes. J’imagine également que les équipes techniques étaient plus légères.
    Enfin, je crois pouvoir assurer que les versions allemande et suédoise ont été perdues pour toujours.

  5. Les lecteurs du J. des C. ont-ils bien tous vu le même film que son rédacteur en chef?

    Comme les Rabbins ont l’habitude (et peut-être même la tâche) de commenter les commentaires, même si je ne suis pas Rabbin, je dirais que j’apprécie beaucoup l’approfondissement qu’apporte Paddy et que l’admiration qu’avait Orson Welles pour Pagnol et Raimu soulignée par François permet d’établir des connivences utiles.

    Sans ironiser, je me pose toutefois une question sur les vertus du sanglier. Je devine que le système auto correcteur de l’ordinateur de François a sauté sur une hésitation dans l’écriture de sangloter pour introduire un gros goret dans cette histoire.

    Bien que mon apparence physique et ma profondeur cérébrale présentent des traits semblables à ceux d’Obélix, je ne sais que penser de ce gibier gaulois pour ne l’avoir jamais dévoré. Somnolant dans une caravane (les Roms diraient une roulotte) lovée tout près d’un grand boisé normand, je fus surpris dans mon semi sommeil au sein de la semi remorque par le ronflement du velu quadrupède éveillé. Sur le coup, ce grognement de vieillard au seuil de la mort ne m’a pas fait penser à un enfant! Mon cervelet réveillé par mon système auditif ne décrypte donc pas le son émis par ce porc forestier de la même façon que le cerveau de François.

    Ces différences de perception des sons me servent de transition pour me rendre au vif du sujet que je souhaite ici aborder.

    L’histoire que nous présente Philippe me semble fort intéressante.

    Négociation d’un contrat unissant Pagnol à Hollywood.

    Ce qui m’intéresse le plus en tant qu’étudiant des communications transnationales est la façon dont on envisage de modifier le produit communicationnel (le film) en fonction de la nationalité et donc des goûts ou des capacités de réception et de décryptage en fonction de la capacité et des goûts (loi de variété requise d’Ashby) inscrits sur les cartes écrans radars des publics vers lesquels Hollywood le destine.

    Philippe conclut en nous révélant le sort des trois montages:

    « Il y eu donc trois versions tournées simultanément. Les versions suédoise et allemande connurent chacun un four étourdissant. On sait ce qu’il advint de la version française… »

    Comme les Rabbins, je me pose alors différentes questions.

    A-t-on vraiment tourné trois versions?
    – Scènes refaites 3 fois?
    – Même scènes prises à partir de trois caméras n’ayant pas le même point de vue et donc selon des perspectives ou angles différents?
    – ou plutôt, ce qui me semble le plus probable: même scènes, mêmes caméras, même ‘rush’ de départ mais découpages et montages forts différents selon les publics cibles! Et évidemment, différentes bands sonores.

    Au delà du film de Pagnol, rentrant dans les commentaires introductifs de Philippe, je me pose d’autres questions encore plus génériques ou plus enveloppantes.

    Le succès de Pagnol en France et l’échec de son film retouché voire restructuré pour projection en Allemagne et en Suède est il dû à la modification du film par les Hollywoodiens ou à la différence des capacités de réception (loi de variété requise d’Ashby) des Suédois et des Allemands?

    On sait, par exemple, que les Français et les Américains n’ont pas réagi à ‘Apocalypse Now’ de la même façon. Un four aux USA, un franc succès en France.

    J’ai une hypothèse mais c’est la mienne à moi, les militaires américains ont le mauvais rôle; ce qui déplait aux Américains et plait aux Français qui se réjouissent de voir qu’ils ne sont pas les seuls à êtres des salauds sartriens! Pour moi, le succès ou l’échec ne sont pas dans le film ou sa structure (ce que les Rabins considèrent comme de l’idolâtrie ou du fétichisme) mais dans les capacités de décryptage des spectateurs. Le fait qu’ils soient fidèles ou infidèles change tout!

    Cela me mène à ma conclusion sur l’introduction de Philippe qui nous dit sans vergogne:
    Pagnol raconte comment la version de sa fameuse pièce de théâtre Marius fût finalement tournée ainsi que vous la connaissez.

    Philippe fait une double razzia sur deux casbahs que tout être humain normalement constitué ne peut appréhender. Mais Philippe comme tous les auteurs que je lis a probablement des capacités que dans l’Antiquité Judéo-Gréco-Ronaon-Islamique, les inventeurs de religions ont attribuées aux Dieux dont ils sont devenus les ventriloques autorisés!

    D’une part il a pénétré le phénomène évoqué: ‘[la] pièce de théâtre Marius telle qu’elle fut finalement tournée.’ et d’autre part, notre façon – bien à nous – de la connaître.

    C’est là le rêve de tout ‘marketer!’

    Non seulement il sait ce qu’il vend (ou ce que l’annonceur qui l’engage prétend vendre) mais, de surcroit, il sait aussi comment les clients éventuels et/ou réels l’appréhendent!

    C’est compter sans les Miss monde de la communication: Miss Understanding, Miss Spelling, Miss Trust, Miss Take, Miss Hearing, Miss Judgment, Miss Reading, Miss writing, etc.

    L’être humain ne peut appréhender les choses telles qu’elles sont ou le monde tel qu’il est.
    Et c’est pour cela qu’il a inventé les Dieux tous plus omniscients les uns que les autres!

    L’homme nu (même dotés de membres prolongés par les médias) n’en a ni les moyens sensoriels ni intellectuels!

    Il est limité dans ses capacités d’appréhension et d’interprétation (loi de variété requise d’Ashby).

    Il projette ce qu’il a derrière la tête sur ce qu’il voit, sent ou ressent (les fameuse madeleine de Proust), sur ce qu’il a sous les yeux et le nez, autour des oreilles ou au bout de ses doigts, de sa lorgnette ou de son microscope. Un bouillon de culture sous un microscope n’est pas le même lorsque l’œil qui est au dessus du microscope est celui d’un enfant que ce qu’y voit le cerveau du savant façonné (et fasciné) par sa culture paradigmatique!

    À force de lire, d’écouter ou de regarder les critiques littéraires à la télé commenter un même ouvrage et s’accuser mutuellement de n’avoir pas lu le même livre ou tout simplement de ne l’avoir pas lu du tout, on devrait faire comme les Rabbins et se poser quelques questions sur les dysfonctionnements de la communication humaine!

    Les ‘marketers’ ont compris que différentes personnes voient différemment les mêmes choses ou produits ou services et ici le même film de Pagnol. La perception de l’acheteur potentiel est affectée par une infinité de variables qui surgissent et se combinent, se jouxtent ou se suivent et s’accumulent selon des modèles qui varient selon l’histoire des personnes dans leurs milieux et au sein de leurs réseaux de coerséduction respectifs.

    L’observateur, marketer et/ou psychiatre ne peut tout appréhender! Les portraits qu’ils font de leurs clients sont d’avantage fonction de leurs hypothèse ou paradigmes (souvent construits selon leur propre histoire à eux [Freud et l’amour qu’il vouait à sa maman selon M. Onfray] que par une communauté de chercheurs… qui ne font que collectiviser un biais) que de ce qu’ils observent devant eux.

    On ne sait donc pas grand’ chose du phénomène observé ni de celles et ceux qui l’observent!

    Comprendre les mécanismes de l’incommunicabilité évite les mal entendus, les qui pro quos et les déceptions!

    Philippe me répondra que c’est là une façon de parler…

    Mais pourquoi continuer à parler comme si l’on ne savait rien des Miss Communications alors qu’à notre âge, ont les a toutes expérimenté?

  6. Anecdote. Orson Welles était un grand admirateur de Pagnol et de Raimu. Arrivé en France il a demandé à rencontrer Raimu .Quand on lui a répondu qu’il était décédé il s est mis à sanglier comme un enfant.

  7. C’est une histoire de Marius et Olive. En complément, j’ai trouvé celle-là conclue par Marcel Pagnol:
    Marius et Olive contemplent la mer depuis une terrasse à Marseille.
    Olive: « que d’eau »
    Marius : « et encore, tu ne vois que la surface »
    Conclusion de Pagnol: « les profondeurs, ça ne se voit pas ».

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