Début d’été

C’était une belle soirée de début d’été du côté de la Place Sainte Apolline. Il venait de tomber une courte pluie d’orage et la merveilleuse odeur de l’asphalte humide et chaud envahissait les terrasses des cafés.

Les hommes en chemise avaient renouvelé leur demi. Les femmes reprenaient une Marlboro Light avant de jeter leur dévolu.

Il faisait bon. On était bien.

Elle portait des sabots noirs, un pantalon de jean bleu, un chemisier blanc un foulard bleu et de longs cheveux blonds. Elle était entourée de rires et de fumée de cigarettes.

Il y avait tant de jeunesse, tant de garçons, tant de filles autour d’elle que ça m’a fait un peu peur. Mais, c’était l’été, c’était la nuit. Elle était si jolie. J’étais tellement libre, tellement vide. Je me suis joint à eux. Ils parlaient de leurs examens, tout proches, de leurs vacances qui commençaient bientôt. J’évitais de la regarder. Ils se sont dirigés vers la rue Japrisot. Je les ai suivis jusque devant un restaurant italien. J’hésitais encore. L’un d’entre eux a dit : « Tu dines avec nous ? ». Soulagé, je suis entré dans la salle ouverte sur la rue tandis que le patron organisait ses tables pour nous accueillir. Dans un chahut qui semblait être la règle, ils se sont installés autour de la table enfin prête. Je suis resté en arrière, hésitant sur la conduite à tenir. j’hésitais si longtemps que la seule place qui se trouva libre quand ils furent tous assis était la plus éloignée d’elle.

Pendant tout le diner, je l’ai regardée boire, sourire, manger, rire, fumer, arranger ses cheveux, rire encore. De temps en temps elle me jetait un coup d’œil. Je me disais qu’elle devait me prendre pour un idiot, moi qui ne disais rien, qui buvais peu et qui fumais cigarette sur cigarette. De temps en temps, ma voisine de gauche, gentille fille, tentait d’engager la conversation. Comme dans un brouillard, Je m’entendais répondre évasivement « Oh non, moi, il y a longtemps que je ne suis plus étudiant, » puis après un silence insupportable : « Et vous , c’est bientôt les examens de fin d’études ?  » mais je n’écoutais pas la réponse, car elle, au bout de la table, elle venait d’éclater de rire. J’aurais voulu savoir pourquoi, ce que lui avait dit ce type à côté d’elle.  « Comment ? Pardon, non, non, moi je reste ici pour l’été ». Lassée, la gentille fille s’est tournée vers son autre voisin et j’ai rallumé une cigarette. Alors, pour me donner une contenance, je me suis levé pour aller au toilettes. Là, je me suis enfermé. Appuyé sur le lavabo, je me suis regardé dans les yeux et je me suis traité de crétin, d’incorrigible timide, d’imbécile, et même de plouc indécrottable. Puis, je me suis longuement lavé les mains, j’ai dénoué ma cravate, j’ai pris une grande inspiration, et j’ai rejoint la salle de restaurant. J’avais décidé d’agir, de faire quelque chose. Je ne savais pas quoi, mais quelque chose.

Quand j’ai rejoint la table, ils étaient tous en train de se lever. Quelqu’un finissait de payer l’addition. Ils s’embrassaient sur le trottoir. Par groupes de deux ou trois, ils partaient dans des directions différentes en s’envoyant des plaisanteries au travers de la place. Je ne la voyais plus. Elle était partie.

J’étais épuisé, abattu, vidé. Je restai un long moment seul près de la fontaine. Bon sang qu’elle était jolie, qu’elle était gaie, qu’elle était jeune ! Bon sang , qu’elle avait l’air heureux. Et moi, pauvre cloche, condamné une fois de plus à chercher dans Ciné7jours le programme de la dernière séance au Roxy. Est-ce que ce serait La Grande Illusion, Riz Amer, ou Dieu Créa la Femme ? Non, ce soir ce serait encore une fois Seul dans la Foule.

Je longeais l’église pour rejoindre le boulevard quand je sentis qu’on me prenait le coude.

Elle.

Elle me souriait gentiment.

Elle me disait :

-Où étiez vous passé tout à l’heure ? Je vous ai cherché partout, je suis même retournée au restaurant.

-Ben, j’étais là…

Brillante réplique, mon vieux, pas mal, pas mal du tout, me dis-je furieux contre moi même.

Toujours souriante, elle continuait :

-Ils sont tous partis, et à cette heure, j’ai un peu peur de rentrer toute seule. Vous pourriez m’accompagner un peu ?

Nous avons partagé la reste de la nuit entre une boite de jazz et un bar discothèque dont nous avons fait la fermeture. Jusqu’au matin, j’ai été brillant, drôle, élégant, gentil, merveilleux, sûr de moi ; j’ai dansé comme un dieu. Elle a été gaie, et réservée, et attentive, et douce, et tendre. J’étais Gregory Peck, et elle Audrey Hepburn. Quand nous dansions un slow, je sentais sa peau qui était chaude, je touchais ses lourds cheveux. A six heures du matin, nous étions dans un café de la Place des Tilleuls à prendre un petit déjeuner. Le patron devait penser que nous avions passé la nuit à faire l’amour. J’étais plutôt content qu’il pense ça. Pourtant, nous ne nous étions embrassés que deux fois et nous nous vouvoyions encore. Nous n’étions pas pressés.

Quand nous sommes sortis du café, elle m’a dit :

-Il va faire beau aujourd’hui, si nous allions à la piscine ?

Je lui ai dit que j’avais une meilleure idée : Saint-Hilaire.

Je ne me reconnaissais plus…Gregory Peck, pensais-je.

Elle s’est endormie tout de suite après le péage. Elle s’est réveillée Place de Doncières devant l’entrée de l’auberge. Elle a regardé autour d’elle. Elle a souri. Grave et calme, sans gêne, sans hésitation, sûre d’elle même, elle a pris ma main et m’a entraîné vers l’hôtel.

 

4 réflexions sur « Début d’été »

  1. Que va-t-il se produire le jour où Philippe ne sera plus là pour rétablir le sens exact (c’est à dire celui qu’il voulait exprimer) de ses propos contre les interprétations erronées (ou créatrices) des lectrices ou lecteurs?

    Ces petits échanges nous amènent à comprendre que la quête de l’éternité par la littérature ou l’art est une voie sans issues; une fadaise!

    Certes, les patronymes des auteurs perdurent dans les bibliothèques… leur texte, éventuellement; mais pas le sens ou la signification qui sont réinventés générations après générations…

    On n’admire pas Proust pour ce qu’il a écrit (ou pensait écrire) mais pour le sens que nous donnons aujourd’hui à ses propos d’hier! Et ce n’est pas Proust qui va rétablir son sens unique! Il ne peut faire qu’un ‘U turn’ dans sa tombe! Le pôvre!

    La bonne nouvelle: Comte l’Auguste, pas le petit Comte-Sponville, avait tort lorsqu’il affirmait: « Les morts gouvernent les vivants! »

    Certes, leurs textes sont dans nos lois et constitutions que l’on retrouva dans les bibliothèques ou les banques de données des Ministères, mais le sens est celui qu’en donnent les juges d’aujourd’hui pour conclure les procès d’aujourd’hui!

    L’Histoire ne juge rien, seuls les historiens jugent vos propos en fonction de leur entendement à l’instant où ils le formulent et encore, nul (parmi les vivants) ne comprend leur propos de la même façon! D’où la succession des thèses sur le même sujet! Pensez à la Révolution française éternellement ré-interprétée… il serait plus efficace de la refaire, comme le suggère le Pape (qui en a marre de vous voir pitonner vos ‘tweets’ sur le divan devant la télé!)

    Évoquer les auteurs défunts et leurs textes est une forme de rhétorique persuasive qui nous évite de prendre la responsabilité du sens que nous projetons sur le monde ainsi que sur les propos qui s’y tiennent! Mais c’est un leurre qui freine (ou étaye de béquilles) nos élans créateurs!

  2. Fiction or not fiction? That’s the question?

    Si l’auteur revendique la sienne… le lecteur ou la lectrice n’aurait-elle ou il pas droit à sa version originale?

    L’auteur croit savoir ce qu’il écrit…

    Le lecteur croit savoir ce qu’il lit…

    En psychanalyse, c’est le psychiatre qui prétend détenir la véritable interprétation… pas l’auteur allongé sur le divan du premier!

    Si vous ne voulez pas que le sens de vos propos soit détourné, ne publiez pas!

  3. Bonjour Rebecca
    Tout d’abord ce texte est une fiction, comme l’indique la petite étiquette rouge au-dessus du texte.
    Bon, à part ça, il est vrai que l’association des deux noms, Hepburn et Peck, fait immanquablement penser à Vacances Romaines. Mais les différences entre mon texte et le scenario du film sont nombreuses :

    1) Le lieu : Rome dans un cas, une ville indéterminée dans l’autre, avec des noms de place et de rues improbables (Le jour ou une ville donnera le nom de Sébastien Japrisot à une rue, je m’y rendrai en pèlerinage.)
    2) Les personnages : Une princesse et un journaliste américain dans un cas, une étudiante et un individu non précisé dans l’autre.
    3) L’action de départ : Le journaliste séducteur cherche à obtenir un scoop aux dépens de la naïve princesse dans un cas, alors que dans l’autre, l’homme ne sait pas très bien ce qu’il veut alors que l’étudiante semble le savoir.
    4) Le dénouement : Les sentiments que le journaliste finit par éprouver pour la princesse lui font renoncer à son scoop et la princesse repart dans son palais dans un cas, et je te laisse deviner la suite de l’autre.

    En écrivant ce texte, et malgré ma référence aux deux comédiens, je n’ai pas vraiment pensé à Vacances Romaines. J’ai simplement cherché un acteur et une actrice qui symboliseraient à mes yeux l’élégance et l’aisance de l’un et le charme, la douceur et le sourire de l’autre. J’aurai pu choisir Cary Grant et Katharine Hepburn, ou Fred Astaire et Cyd Charisse, ou Gary Cooper et Jean Arthur, ou Gérard Jugnot et Marie-Anne Chazel, mais j’ai trouvé que G.P. et A.H. collaient mieux aux personnages de rêve de mon narrateur.

  4. Tu te prends pour Gregory Peck, et l’emmènes à l’auberge. Elle, elle te mène à l’hôtel. Audrey Hepburn se serait-elle conduite de façon si terre à terre et peu royale dans Vacances Romaines?

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