Jacques Perret épinglé – Critique aisée 17

 Le caporal épinglé

« Jacques Perret était un homme contre, un homme du refus. Rien de ce qui était français ne lui était étranger. Folliculaire de la réaction, écrivain du transcourant « plume Sergent-Major », styliste hors-pair qui buvait avec soin afin d’éviter tout faux-pli dans le jugement, il eut la faiblesse de ne jamais dire non à l’aventure et au voyage. Il tenait la littérature pour un art d’agrément qui aurait pris tournure de gagne-pain. Il aimait Aymé et aussi Bloy, Blondin, Conrad, Dos Passos; il en tenait pour le duc d’Anjou et la dimension sacrificielle de la messe selon saint Pie V. J’avais été à sa rencontre à la fin de ses jours, dans son appartement près du Jardin des Plantes où il cachait son bonheur d’être Français. Il avait quelque chose du Jacques Dufilho de Milady et du Crabe-tambour, les traits comme les idées, mais en moins âpre, plus doux. Dans sa chambre, il y avait deux cadres : dans l’un, le grand Turenne ; dans l’autre, son grand frère. »

Voilà ce qu’en 2011 Pierre Assouline écrivait sur son blog à propos de l’auteur du Caporal Epinglé. Je ne saurais dire mieux ou plus, donc je vais me taire,  mais avant, je vous dis :
–  Lisez Perret ! Il n’est pas trop tard ! Lisez le « Caporal », lisez « Bande à Part », lisez « Le Vent dans les Voiles »…
–  Bon, on veut bien, mais pourquoi ?
– Parce que la langue y est continuellement éblouissante, les aventures souvent extraordinaires, l’humour toujours prêt, la litote aristocratique, la distance jamais loin, la France plutôt vieille (au bons sens du terme), le politique rarement correct, ….
En cadeau, je vous offre les premières lignes du Caporal Epinglé, récit écrit entre 1943 et 44, publié en 1947, qui rata de peu le Goncourt de cette année pour obtenir l’Interallié.
J’ai fini. Je me tais.

« C’est fini les histoires de boue glorieuse.
Nous sommes quatre, couchés ventre à fesse dans un paquet de mouscaille sous une couverture mal tendue qui fait une poche d’eau suintante. Crevés de faim, de fatigue et de dégoût, nous nous ratatinons dans une somnolence sordide. Ne pas bouger ; serrer les épaules, bloquer les mâchoires, raidir le derrière, crisper le ventre et crisper aussi la tête si possible. La retraite, la défaite, le chahut des derniers combats, la grande rafle, on verra plus tard à comprendre. Pour l’instant c’est la faim et la pluie. Ne pas remuer la boue. Contre la misère faire le mort. Mon voisin a logé ses fesses dans le creux de mon estomac. Pourvu qu’il ne bouge pas, le clapotis me remonterait jusqu’au nombril… »

Puisque vous semblez avoir encore un peu de temps, laissez-moi vous donner les dernières lignes de ce récit. Mais il faut bien auparavant que je vous résume les 499 Pages de l’édition d’origine. (nrf-Gallimard 1947)
Donc, le caporal est épinglé lors de la débâcle de juin 1940. Avec une bonne partie de l’armée française, il est emmené en captivité en Allemagne. Il y vit avec une philosophie temporaire des temps longs et difficiles, faits de froid, de faim latente, de corvées, de rigolades, de frustrations et de camaraderie. Et puis de temps en temps, le vent du large le prend et, sur un coup de tête ou après mure préparation, il s’évade ; quatre fois ; et quatre fois il est repris. Mois de cachots, de brimades et de réflexions douces-amères. Et puis, après deux ans sans qu’il ait pu donner de nouvelles, sans qu’il en ait reçues, la cinquième tentative le mène, sur les boggies d’un wagon, jusqu’à la gare de l’Est. Métro jusqu’à Censier-Daubenton. C’est encore la nuit.

« Derrière moi, les catalpas, Saint-Médard et la Mouffetard ; en face, le tabac Mirbel ; à droite, le marchand de couleurs, tout cela très assoupi, mais bien en ordre. On ne s’était pas aperçu de mon absence, j’avais décroché du quartier et j’y rentrais en douce avant l’aube, sur la pointe des pieds. C’est ainsi qu’un prisonnier doit rentrer, sans Marseillaise et sans discours.
Rue de la Clef, la porte cochère était entr’ouverte, j’en franchis le seuil avec une joie bien lucide et le désir aussitôt refoulé d’aller embrasser la concierge dans son lit. Lente ascension des quatre étages, degré par degré, escalier d’or, royal paiement de mes peines, ah ! fichtre non, je n’étais pas volé. Devant notre porte, dans le profond silence de toute la maison dormante, j’entendais mon cœur qui forçait la cadence comme une grosse bombe de liesse à son dernier tictac.
Coups de sonnette et coups de sonnette. Silence. Puis au bout du couloir une porte qui s’ouvrait et, sur le plancher craquant, un pas nu. Contre la porte, une voix qui savait déjà :
-C’est toi ? « 

 

2 réflexions sur « Jacques Perret épinglé – Critique aisée 17 »

  1. Bonjour à tous!
    La critique aisée n°17 du 18/4 se référait au Caporal Épinglé, souvenirs écrits en 1947 par Jacques Perret si cher à notre ami Philippe. Cette critique m’a incité à relire ce livre. L’une des grandes vertus que j’attribue au JDC, merci à son rédacteur en chef, est justement de donner envie de lire ou relire, voir ou revoir, mais malheureusement pas écouter ou réécouter car la rubrique musique y est absente, des livres ou des films. À la suite de la critique n°17 j’ai donc retrouvé dans ma bibliothèque l’édition en livre de poche du Caporal Épinglé, bien placée comme elle se devait être à côté de Bande à Part du même auteur, dans un état piteux et presque impropre à une relecture. La vétusté du livre indiquait une première lecture il y a au moins une cinquantaine d’année, à une époque où je n’avais peut-être pas apprécié toutes les subtilités de style du texte. Pouvant me le permettre, j’ai investi dans l’acquisition d’une réédition récente par Gallimard (30,50€ tout de même, mais digne de l’ouvrage) dont j’ai immédiatement entrepris la lecture avant-hier. Les premières pages ne m’ont rien rappelé, mais quand je suis arrivé à la page 50, au chapitre intitulé « Dialogues aux Gogues », « d’un passé ancien » a subitement resurgi « l’édifice immense du souvenir » que ce texte avait caché dans les recoins de ma mémoire. J’avoue ici avoir un penchant pour ce qu’on pourrait appeler et que d’aucuns appellent d’ailleurs « la littérature scatologique » à condition qu’elle soit de bon goût, exempte de toute vulgarité. C’est pour ses auteurs un exercice délicat, extrêmement délicat, tout comme les bonnes blagues à base de pets que l’on peut raconter sans honte dans la bonne société. C’est drôle comme les histoires de pets font rire. En anglais, le mot pet se traduit par « fart ». Ce mot me fait toujours sourire, même si je me fais traiter de « old fart » ce qui est malheureusement le cas. « Get going old fart »! Bon, d’accord, alors je continue. Le mot pet, en trois lettres, apparaît souvent dans les mots croisés dont je suis un adepte (ceux de Michel Laclos presque exclusivement). Les définitions varient, quand elles sont poétiques elles me font toujours rire et indiquent sans ambiguïté qu’il s’agit bien de pet et non de rot. Ma préférée de tout temps reste « lâché dans l’indifférence ».
    Donc, les histoires de pets et de gogues, bien amenées, me plaisent. C’est pourquoi je veux vous faire partager ici, comme Philippe le fait si bien, les premières lignes des Dialogues aux Gogues. Appréciez ce chef d’œuvre (l’épisode se situe en 1940 alors que le Caporal est prisonnier des boches):
    « Bysance avait son hippodrome, la province à son mail et le camp de Vaucouleurs à ses feuillées. C’est en ces lieux que toute la population se presse entre cinq et sept pour y commenter son destin. Sur les nombreuses tranchées, parallèles comme des gradins et saupoudrées de chaux vive, le foule est accroupie, coude à coude, dans un alignement à peine rompu par la course des hommes pressés, tandis qu’alentour se font et se défont, au hasard des rencontres, de petits noyaux de discussion. Bien qu’un grand nombre, hésitant à faire deux fois le chemin, s’appliquent à différer ses besoins jusqu’à l’heure propice, il n’est pas nécessaire pour fréquenter cette assemblée d’y être poussé par la nature. On peut y aller comme aux courses, sans passion, rien que pour l’atmosphère. Accueillantes feuillées, chiottes de bonne compagnie où se retrouve à la fois l’ambiance de la foire et du parlement, des thermes, des cours de recréation et des garden-parties. Jetant son lest, débarrassé de la matière, l’esprit s’élève. C’est là que se fortifie l’âme collective du camp, que se galvanisent les espoirs, que s’élaborent enfin, du chaos de la catastrophe, des schémas d’analyses, des tendances, des perspectives. C’est une potinière, une académie, un club mais surtout le grand conseil où s’épanouit, prospère, foisonne et triomphe le bouteillon, cette nourriture spirituelle du captif. Les débiles n’en supportent pas la carence. » (Pour ceux qui ne le sauraient pas, le bouteillon est le récipient qui apporte la soupe aux soldats, en l’occurrence ici les prisonniers, que les hommes de corvée rapportent des cuisines réputées être des foyers d’information; bouteillon est donc devenu synonyme d’information).
    Avant d’en terminer, j’aimerais dire ici m’être posé la question de savoir si ce goût pour la littérature scatologique relevait de je ne sais quelle perversité. Ayant tapé sur Google « littérature scatologique », je suis tombé entre autres choses sur un article écrit par une certaine Nina Gourfinkel (que je ne connaissais n’y d’Eve ni d’Adam) dans la revue « Le Courrier d’Epidaure » en 1936 sous le titre « Les thèmes scatologiques en littérature » qui m’a totalement rassuré. Je vous conseille vivement d’aller voir et vous verrez que ces thèmes ont toujours été présents, depuis les athéniens, en passant par Rabelais bien sûr, Bergson, Céline, etc. Allez voir, c’est très instructif.
    Je vous souhaite le bonsoir.

  2. Si je dois partir dans une ile déserte et n’ais qu’un livre à choisir,j’emmène le caporal épinglé.C’est un livre  » roboratif »,qui prone la réisistance de l’esprit ( l’incroyable puissance des mots)dans les situations les plus pénibles.
    Je me souviens des  » bouteillons »,de la grosse  » Rèche » et de sa tenue de  » golfeur » lors de son ultime évasion à Berlin.J’en ris encore.
    Je cherche une belle édition de ce livre.

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