Piéton, où est ta victoire ? 2ème partie (Critique aisée 79)


Piéton, où est ta victoire ?

Deuxième partie : La fermeture des voies sur berge

Dans la première partie de cet essai que nous avons publiée hier, après avoir dressé un constat impressionnant de précision du passé et du présent de la piétonisation des voies urbaines, l’auteur a dessiné les grandes lignes du futur peu souhaitable que cette idéologie, si elle devait être appliquée plus avant, nous réserve.

Après ces généralités nécessaires pour une bonne compréhension du phénomène, dans cette deuxième partie, l’auteur s’attaque avec vigueur et talent au sujet particulier de la fermeture de la voie sur berge rive droite à Paris, dont on rappelle qu’elle a été votée hier par une municipalité inconsciente.

2-La fermeture de la voie sur berge rive droite à Paris est un truc idiot.

Si, comme on l’a vu hier, la piétonisation des centres villes est un truc dangereux, la fermeture de la voie sur berge est un truc idiot.

Tout d’abord, entendons-nous : le long de la Seine, il y a les quais et les berges, les quais en haut, les berges en bas. Sur les quais, il y a les commerces, les cafés à terrasse, les restaurants, les théâtres, les musées et les arbres. Il y a les piétons, les voitures, les taxis, les camions, les motos, les bus et les vélos. On y circule, et piétons et automobiles se trouvent au niveau des autres rues et des ponts, ce qui leur permet de changer facilement de quartier.

Sur les berges, quand elles ont été viabilisées, il y a des voitures, beaucoup de voitures, des milliers de voitures, des camions, des taxis, des motos et pas de piéton. Essentiellement, c’est la voie Georges Pompidou, un brave type celui-là, créée il y a une quarantaine d’années. Déjà ? Eh oui, déjà ! Sur les berges non viabilisées, il y a des épluchures, des crottes, de chien pour la plupart, des vieux matelas et des promeneurs.

Les voies sur quais et les voies sur berge charrient leur lot de véhicules dans le même sens, grosso modo d’Ouest en Est. Je suis obligé de préciser tout ça parce que, contrairement à ce que vous croyez probablement, tout le monde n’habite pas Paris.

Toutes ces voies qui vont dans le même sens sont notoirement insuffisantes en capacité. Il suffit de passer par là n’importe quand entre 8 heures du matin et 8 heures du soir et n’importe où entre les guichets du Louvre et Sully-Morland pour en ressortir épuisé et convaincu.

Bon ! Depuis des années, la Mairie de Paris mène une lutte autant acharnée qu’idéologique, car les luttes idéologiques sont les plus acharnées, contre l’automobile. Après tout, c’est son droit, elle a été élue et quand on a été élu, on fait ce qu’on veut. C’est ça la démocratie. Enfin, pas que ça, mais quand même.

En supprimant rive gauche le passage souterrain qui permettait d’éviter de croiser le flux venant du pont du Carrousel, elle a fait remonter les encombrements jusqu’à la Gare d’Austerlitz, ceci sans gagner un seul mètre carré de chaussée pour les piétons et dans l’unique but, d’ailleurs avoué, de créer ces embouteillages. En supprimant la circulation sur la voie sur berge rive gauche à partir du Pont Royal, elle a créé une congestion permanente du Quai Anatole France, auparavant tellement calme que François Mitterrand y avait installé clandestinement sa fille cachée. Et sur la berge ainsi récupérée, la Mairie a installé ces pauvres aménagements que j’avais décrit précédemment.

Eh bien, la lutte finale contre l’automobile n’étant pas finie, les voies sur berge rive droite, occupées par des transats pendant l’été comme chaque année de gauche, n’ont pas été ré-ouvertes à la circulation. C’est un essai temporaire, dit-on. Aussi temporaire qu’une taxe est exceptionnelle, dirai-je.

Que va entraîner la suppression de plus de 50% de la capacité de cet axe Ouest-Est ?

Probablement, après quelques embouteillages monstrueux, l’abandon de l’automobile par quelques banlieusards, qui réduira le trafic de 10 ou 15% au grand maximum.

Où vont donc aller les 85% restant ? 70 d’entre eux resteront sur leur itinéraire habituel, dont la capacité aura été réduite, rappelez-vous, de moitié, et 15 en chercheront un autre.

Y a-t-il d’autres itinéraires de substitution que le Boulevard Saint-Germain ? La Rue de Rivoli ? Elle est dans l’autre sens. La Rue Du Faubourg Saint-Honoré ? Non mais, vous plaisantez ! L’enfilade des boulevards des Invalides, Montparnasse, Port Royal et Saint Marcel ? Impossible, le dernier de ces boulevards ayant été totalement et volontairement figé par le Maire précédent au moyen de la régulation des feux rouges et la complexité des croisements !

Il ne reste que le Boulevard Saint Germain, qui a déjà du mal, beaucoup de mal, à supporter son propre trafic, et qui sera désormais complètement pris en masse. A ces problèmes, on ajoutera l’augmentation du franchissement de la Seine par le Pont de la Concorde, avec ses répercussions sur la Place, et par le Pont de Sully.

On verra l’asphyxie se répandre de façon centrifuge et à grande vitesse du centre vers les boulevards extérieurs et, à très faible vitesse, les automobilistes renoncer peu à peu à leur voiture, ou peut-être même à Paris.

La Mairie aura alors atteint son rêve de jeune fille : une ville de piétons fatigués, de vélos imprudents, de motos bruyantes, de scooters fous, de patinettes branchées et autres moyens de transports individuels pour acrobates. Abandonnée par les parisiens actifs empêchés de se déplacer et les banlieusards actifs ou inactifs interdits d’accès, Paris deviendra bientôt un lieu de prédilection pour fonctionnaires, oisifs, étudiants et vieillards que les touristes viendront observer dans leur milieu naturel du haut de leurs autobus à impériale. Car on aura conservé les autobus qui verront leur vitesse augmenter, mais pas leur fréquence de passage, quinze à vingt minutes aux heures creuses. Mais y aura-t-il autre chose que des heures creuses dans une ville sanctuaire ?

Dans ce projet autoritaire, on peut aussi se demander quel sort, quelle utilité, quelle activité seront réservés aux tunnels dont la fermeture est prévue dans le projet. À quoi pourra bien servir ce énorme investissement des années passées ? De garage à vélos, de lieu d’expositions branchées, de dépotoir ou de lieu de perdition ?

Maintenant, pour démontrer mon ouverture d’esprit à une Mairie qui semble en être dépourvue, je vais lui faire une suggestion : s’il fallait absolument, avant que la municipalité actuelle ne soit éconduite, fermer des voies de circulation sur cet axe Ouest-Est, pourquoi ne pas faire l’inverse ? Pourquoi ne pas laisser libre la circulation sur les voies sur berge, et l’interdire ou la restreindre sur les quais ?

En bas, la circulation, augmentée comme on l’a dit plus haut, s’écoulerait avec moins de difficultés sur une artère de type voie express que sur un quai encombré de feux de circulation et de véhicules en livraison. En haut, les piétons pourraient profiter de la vue bien mieux que depuis le niveau de la Seine. En même temps, ils pourraient bien mieux profiter des terrasses de café et des magasins. Mais attention, dans ma suggestion, il ne serait pas question d’interdire toute circulation de façon bornée et totalitaire. Une voie serait à aménager, permettant la circulation lente des voitures et l’arrêt pour quelques minutes des véhicules de livraison.

Il n’est pas nécessaire de faire une enquête pour connaître l’avis de tous les riverains, commerçants et cafetiers sur cette alternative.

Si, sans faiblir, vous avez pu lire cet interminable article jusqu’au bout, faites le moi savoir dans un commentaire. Vous aurez droit à un cadeau virtuel et à mon estime réelle.

 

 

4 réflexions sur « Piéton, où est ta victoire ? 2ème partie (Critique aisée 79) »

  1. J’ai tout lu, tout vu, tout bu! C’est, comme d’habitude, fort bien écrit dans un excellent style et les idées ne me semblent pas plus folles que celles de l’élue socialiste!

    Vu du haut décapoté de mon bus de touristes québécois, je suggère d’assécher la Seine (ce qui évitera les prochaines inondations!) et de transformer son lit en autoroute américaine: 5 voies dans un sens et autant dans l’autre. Pour conserver l’esthétisme, la chaussée sera peinte en bleu azur et ne pourrons l’emprunter que les véhicules blancs-écume. Leurs pots d’échappement seront combinés à des pulvérisateurs de gracieux parfums. Les voies de services (les anciennes berges) seront camouflées beige-sable chaud du légionnaire de Piaf et ne seront autorisées qu’aux automobilistes et motocyclistes en monokini ou strings.

    Pour diminuer la densité démographique de la capitale, toutes ses écoles seront closes, les enfants, regroupés en kibboutz, seront envoyés dans les monastères, couvents et abbayes du pays où on leur enseignera, en guise d’happy culture, la maïetique socratique selon laquelle le paradis des âmes n’existe qu’avant la vie terrestre. Cette vie terrestre et surtout parisienne est à éviter à tout prix. Y mettre bas un enfant c’est condamner son âme à la souffrance, (à Paris: au jugement de leur apparence sanctionné par l’asphyxie) puis, en apothéose, au néant post-mortem du Pan T’es On!

    Pour atténuer la souffrance des vieux parisiens, les envoyer en automne dans les stations balnéaires où ils ne passeront pas l’hiver! Les durs-à-geler seront placés, au printemps, sur les pentes de ski des stations de sports d’hiver… d’où leurs héritages déferleront en avalanches…

    YAKASSI YAKAÇA! Bo K Ça!

  2. Courte prolongation de cette « Critique aisée »

    La croissance de la population et du taux de motorisation imposent vraisemblablement une réduction de la circulation dans des villes anciennes aux centres immuables.

    Mais comment faire ?
    Les solutions ne sont pas infinies. Il y a :

    Les solutions autoritaires,
    du genre de celles de la Mairie de Paris : on interdit, point final, en espérant que les embouteillages, et donc le coût de transport dissuaderont le plus possible d’automobilistes. Le danger : on tue l’activité de la ville. C’est ce qui ce fait de plus courant en France et qui conduit à l’asphyxie et/ou à la mort de quartiers centraux.

    Les solutions persuasives :
    on offre des moyens de transport alternatifs : moyens individuels comme Velib, Scootlib, Autolib, Patinettelib ou moyens collectifs comme autobus, metro, tram, cable-car, soucoupe volante…Chacun de ces moyens à ses propres inconvénients :
    Les moyens individuels ne peuvent être utilisés que par des personnes en bonne condition physique, donc pas par les enfants, ni les personnes âgées, ni par ceux qui ont seulement juste un peu mal aux genoux. Les moyens collectifs souffrent de leur lourdeur organisationnelle : administration, avantages acquis, grèves, faibles fréquences aux heures creuses, inconfort aux heures de pointe, zones mal desservies, etc…
    Avez vous essayez d’assurer dans la journée en seuls transports en commun trois rendez-vous, dont l’un dans le treizieme, le suivant à Gennevillers, et le troisieme du côté d’Orly, tout en passant à votre bureau dans le 9eme?
    Avez-vous essayé de prendre un bus vers 23heures au sortir d’un restaurant ou d’un cinéma pour rentrer chez vous ? Non, hé bien bonne chance !

    Les solutions dissuasives :
    ces solutions consistent à faire payer l’accès au centre ville. Adoptées par nombre de villes, dont certaines que je connais : Londres, Rome, Singapour…, elles consistent à faire payer par les automobilistes le franchissement d’une ligne virtuelle qui délimite le centre-ville. Sur le plan technique, cela ne pose aucun problème. Sur le plan social, c’est différent, et beaucoup crient à la sélection par l’argent.

    La solution unique et globale n’existe pas, et contrairement à ce qu’applique la Mairie de Paris, la vraie solution ne peut se trouver que dans un cocktail des différentes mesures possibles.
    Le problème est que les politiques et les technocrates adjacents ne raisonnent sur ces sujets que de façon idéologique :

    -diaboliser la voiture, ou
    -honnir les transports en commun, ou
    -refuser tout ce qui pourrait ressembler à une sélection par l’argent
    -privilégier les citadins (réputés riches donc oisifs) par rapport aux banlieusards (réputés modestes donc travailleurs)
    -ou l’inverse.

    Je vais vous dire : on n’est pas sorti de l’auberge .

  3. « Pedestrian: The variable (and audible) part of the roadway for an automobile ». The Devils Dictionnary by Ambrose Bierce.

  4. C’est bien vrai tout ça. Si on avait écouter Alphonse Allais et construit Paris à la campagne, l’air serait resté pur et la circulation n’eut posé aucun problème, berge ou pas berge.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *