Incident de frontière – Chapitre 1

Voici le premier chapitre de l’histoire d’un long weekend en Syrie. Il y aura (sans doute) 13 chapitres. Ils paraitront tous les dimanches, jusqu’au 12 mars 2017. Je dédie cette histoire fictive à ceux de mes amis qui ont inspiré les personnages.
(La coïncidence entre la parution de ce texte et les événements qui se passent actuellement
 à Alep en est réellement une. Les deux étaient en préparation depuis longtemps. Je connais à peu près la fin de mon histoire. Quant à celle des évènements, c’est est une toute autre.)

Dimanche, 24 mai 1970

Sur la petite route qui serpente entre les collines, deux voitures blanches se suivent de près. Elles ont quitté Alep ce matin et se sont dirigées plein sud. Après un arrêt pour le déjeuner à Homs, elles ont quitté la route qui file vers Damas en obliquant vers le sud-ouest en direction de la mer et du Liban. Dans une heure environ, elles devraient parvenir à la frontière et, sauf imprévu, elles seront à Beyrouth un peu après dix heures, évitant ainsi d’être bloquées dans les énormes embouteillages qui règnent le dimanche soir aux abords de la capitale.

Il fait chaud en cette fin d’après-midi du mois de mai, et des coudes sortent par toutes les vitres ouvertes des portières.

C’est Jean-Pierre Ponti qui est au volant de la première voiture. Il est le chef d’une petite équipe chargée par la Banque Mondiale d’étudier la construction d’autoroutes côtières au Liban. C’est un grand gaillard, simple, calme et tranquille. Il aime lire San Antonio.

Sa femme, Françoise, est assise à côté de lui. Professeur d’éducation physique au lycée de la Haye-les-Roses, elle s’est mise en congé de l’Education Nationale pour suivre son mari à Beyrouth. Elle lit des traités de psychologie enfantine. Aujourd’hui elle est contente parce que, demain, ce sera son premier jour de travail à Beyrouth. Elle a enfin trouvé un poste au Collège Protestant Français. Pour ce long week-end de tourisme, elle a confié leurs deux enfants à des voisins libanais.

Trois passagers se pressent à l’arrière du petit break Peugeot 204 : William, John et Tavia.

William Breed, américain d’une cinquantaine d’années est assis derrière le conducteur. Professeur d’archéologie à UCLA, il a pris une année sabbatique pour écrire une série de conférences sur les civilisations antiques de la Méditerranée que lui a demandées l’Université de Chicago. Il a emporté avec lui tous les livres de Robert Graves. En général, il est plutôt bavard, mais, pour l’instant, il ne se sent pas très bien. Il ne sait pas si cela vient des virages de la route ou du déjeuner pris tout à l’heure à Homs. C’est pourquoi il reste silencieux et passe la tête à l’extérieur de la voiture le plus souvent possible.

Tavia Foster, assise derrière Françoise Ponti, est une jolie fille de vingt-deux ans. Née à Flagstaff, elle était étudiante en Sciences de l’Environnement à l’Université d’Arizona du Nord quand elle a rencontré John dans un groupe de rafting lors d’une descente de la rivière Colorado. Elle a terminé son semestre avant de rejoindre John à Beyrouth. Elle s’est inscrite en Histoire Antique et en Théâtre à l’A.U.B. Tavia est grande, fine et blonde. Son visage est toujours en mouvement. Elle est naïve, gaie, spontanée, entière. Récemment, elle s’est découvert une passion pour Che Guevara. Les murs de l’appartement que John et Tavia partagent dans le quartier chrétien d’Achrafieh sont couverts d’affiches engagées contre la guerre du Vietnam, la ségrégation raciale et la pollution. Tavia a décidé d’épouser John, mais elle lui a fait admettre de ne jamais avoir d’enfant pour, dit-elle, ne pas contribuer à la surpopulation du monde.

Assis entre William et Tavia, John Fulton somnole et, de temps en temps, sa tête vient heurter doucement l’épaule de la jeune femme. Né en 1945 à Brooklyn, il est arrivé à Beyrouth il y a deux mois pour travailler à la First National City Bank. Dans six mois au plus, quand la banque jugera qu’il se sera suffisamment acclimaté au monde arabe, il sera muté à Djeddah pour prendre le poste de directeur adjoint de l’agence locale. John est un garçon intelligent et rationnel, mais réservé et timide. Il parcourt des traités de Dale Carnegie sur la manière de se faire des amis ou de réussir dans la vie. Depuis qu’il est arrivé au Liban, deux pensées occupent son esprit presque en permanence : tout d’abord, il n’en revient pas qu’une fille comme Tavia ait accepté de partager sa vie. Ensuite, il appréhende un peu ce prochain transfert en Arabie Saoudite. Mais pour l’instant, il apprécie surtout la chance qu’il a d’être en poste au Liban plutôt qu’à la guerre au Vietnam.

Tout à coup, le professeur d’archéologie touche l’épaule du conducteur et sur un ton exagérément poli mais tendu, il dit :

– Jean-Pierre, voudriez-vous, s’il vous plaît, arrêter la voiture sur le bord de la route pour quelques instants ? C’est plutôt urgent. Il faut que je marche quelques pas. Ça ira mieux après.

Jean-Pierre ralentit aussitôt et s’arrête sur le bas-côté, suivi en cela par le deuxième break Peugeot. Bill Breed est sorti de la voiture avant même qu’elle se soit arrêtée complètement et, tandis que la poussière retombe, on peut le voir s’éloigner à grands pas dignes mais rapides vers les buissons.

Les autres voyageurs ouvrent les portières et sortent des voitures les uns après les autres en s’étirant bruyamment.

-Qu’est-ce qui se passe encore ? demande Christian Lecomte, agacé.

Christian conduit la deuxième voiture. Il a vingt-huit ans. Né à Grenoble, il est venu à Paris pour passer une licence de Sciences Eco. Il a fait son service militaire au Tchad dans la coopération, puis il est entré dans un bureau d’études international. Après quelques travaux en métropole, il a intégré l’équipe de Ponti comme économiste des transports. C’est sa première mission à l’étranger. Il est plutôt anxieux et timide. Il lit Homère et Raymond Chandler. Il aimerait bien aussi coucher avec Patricia, qui voyage à côté de lui.

Patricia Gallaghan est née à Washington D.C. Elle a vingt-quatre ans. Elle est blonde, coiffée très court. Elle est plutôt petite et elle a l’air fragile. Elle lit Thoreau et Arthur Miller. Elle était secrétaire médicale à Bethesda, une banlieue très chic de Washington. Elle vient de mettre fin à une liaison de deux ans avec son patron. Pour se remettre du choc, elle a décidé de prendre trois mois de vacances en Europe. De passage à Rome, elle s’est rendue compte que Tel-Aviv n’était qu’à quelques heures de vol. Elle a trouvé qu’étant si près, il serait idiot de rater cette destination. C’est à Jérusalem qu’elle a rencontré Anne et s’est liée d’amitié avec elle.

Anne Bronsky est assise derrière Christian. Elle est américaine, elle aussi. Elle a une trentaine d’années. A Beyrouth où elle habite depuis bientôt quatre ans, elle attire beaucoup l’attention. C’est une grande et belle femme à la taille souple et aux longs cheveux auburn. Elle est secrétaire de direction à la First National. Elle habite seule un appartement spacieux dans une tour de la rue Hamra. De temps en temps, elle couche amicalement avec son patron, un célibataire sympathique d’une cinquantaine d’années. Quand Anne a vu cette petite blonde devant le mur des lamentations, si studieuse sous son petit bob blanc, si visiblement solitaire et si évidemment américaine, elle a éprouvé un soudain besoin de la protéger. Elle l’a abordée, sans aucune gêne, à la mode de leur pays commun. Le lendemain, elles ont pris ensemble un avion pour Chypre puis un autre pour Beyrouth où Anne avait proposé à Patricia de l’accueillir pour le restant de ses vacances. Patricia lui fait lire Miller ; elle lui prête Margaret Mitchell.

Assis à côté d’Anne Bronsky, le quatrième passager du break est une passagère. Elle est australienne et s’appelle Jenelle Ripley. Elle est de taille moyenne, rousse et frisée. Elle accomplit un tour du monde qu’elle a commencé par le Chili. Sur sa route vers l’Est, vers l’Afghanistan, elle en est au Proche-Orient. Elle a des adresses dans tous les pays où elle passe. Elle est hébergée partout, par amitié ou contre quelques heures de baby-sitting, ou comme serveuse, vendeuse ou professeur d’anglais. Elle fume un joint de temps en temps. Elle ne lit jamais.

A SUIVRE… 

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9 réflexions sur « Incident de frontière – Chapitre 1 »

  1. Au moins, nos diagnostics sur nos tentatives de conversation ne sont pas si éloignés que ça!

    Si tes bouteilles d’oxygène sont épuisées, je te suggères amicalement une bonne bouteille de fines bulles!

    À la tienne… d’année! (elle ne s’annonce pas très bonne pour personne mais je n’y suis pour rien!)

  2. Pour donner une image de nos échanges, je les comparerai à un dialogue de plongeurs sous-marins sourds, parlant, à travers leur masque de plongée à vingt mètres sous la surface de l’eau, de sujets différents, à une distance l’un de l’autre qui leur permet tout juste d’apercevoir voir les bulles d’air exprimées par l’autre.
    C’est la trêve de Noël, je commence à manquer d’air et je crois que je vais remonter un peu à la surface.
    A l’année prochaine.

  3. Je constate, au travers de ma seule lecture, biaisée, il est vrai, par ma carte écran radar que je m’efforce d’exposer pour révéler le ‘biais’ inévitablement associé à ma grille de lecture (d’autres semblent avoir des moyens que j’ignore) que:

    – Là où le romancier reste « judgmental » et veut dominer en l’expliquant, toute la situation; l’essayiste essaye de plaider sa modeste différence (et celle des ‘usual suspects,’ habituellement couchés dans les pages des romans).

    – Là où le romancier suspecte l’essayiste d’avoir une fausse logique ou une logique tordue, perverse, etc. donc là où le romancier étale son jugement éthique (comme de divins ventriloques), l’essayiste, comme un diable dans l’eau bénite, s’efforce de montrer qu’il peut y avoir un autre lieu que le sommet des collines où apparaissent les dieux, à partir des quels d’autres peuvent voir ou imaginer le cosmos et ses éphémères locataires.

    De mon côté – et je doute que cela soit réciproque -, je me suis efforcé de rayer de mon système d’écriture les notions normatives de vrai et de faux ainsi que les notions morales de bon et de mauvais. Pour ma part: point de manichéisme, point d’objectivisme. Est-ce pour autant du cynisme??? Je m’efforce d’imaginer les conditions dans lesquelles les êtres humains pourraient passer une vie agréable sur cette putaing de planète. De toute évidence, ça ne se voit pas… mais le cynisme n’est pas mon style!

    La thèse ou conjecture centrale de mon présent propos est que le Roman me semble renforcer par l’écriture, le VERBE écrit et donc figé (the medium is the message) les conceptions téléologiques de l’homme fixée par le romancier, créateur de la nature et des dieux, tandis que l’Essai, à partir « d’ouvrages regroupant des réflexions diverses ou traitant de sujet qu’IL NE PRÉTEND PAS ÉPUISER » (toujours ton Laroussse) se présente comme une œuvre ouverte à l’interprétation d’un lecteur TELESITIQUE, donc détenteur de ton libre arbitre et, de ce fait, capable de résilience et de perpétuelle création (au delà des cadres plantés par le romancier).

    Là où le roman me semble conservateur, s’inscrivant dans les traditions et les courants dominants (sinon il n’aurait pas un aussi grand nombre de lecteurs ni de prix littéraires) et surtout parce que ses personnages sont bloqués dans le portrait physique et moral que leur créateur, le romancier en a fait; l’essai, au contraire, s’inscrit dans le changement, les schismes religieux, les révolutions paradigmatiques.

    Je n’ai nulle part dit que le changement était mieux que le statu quo, l’un moral et l’autre immoral, l’un beau, l’autre lait, l’un distrayant, l’autre ennuyant… Ces qualités ou défauts ce sont les lecteurs qui en décident, comme d’ailleurs ils décident de ce qu’est un roman ou un essai. Pour les jansénistes, les islamistes ou les affairistes protestants américains, le fait que leur destin ait été écrit par Dieu est une bonne chose, sinon ils n’en feraient pas profession de foi! Le choix entre le changement et l’apparent état des choses est une question de choix politique et, en démocratie, c’est une question de conscience personnelle.

    Donc, il me semble que tu m’as fait là un procès d’intention que je ne mérite pas… et c’est pourquoi je n’aimerais pas inspirer un personnage de tes romans.

    Enfin… la brièveté étant une condition d’écriture du net… dit-on; je n’ajouterais qu’une seule autre remarque précisant ce que je m’efforce d’écrire (non pour te convaincre de la supériorité de ma posture mais tout simplement que, bien que différente de la tienne, elle me parait également légitime): Le romancier, en figeant par l’écriture: l’histoire ou « l’aventure, les mœurs et les caractères, les sentiments et les passions » (Larousse) qu’il DÉCRIT (« représentation du RÉEL ou de diverses DONNÉES objectives et subjectives, » – toujours selon ton Larousse – ) me semble contribuer à renforcer l’état apparent de choses telles que perçues et décrites au travers du kaléidoscope culturel dominant.

    Come l’a subtilement remarqué Sarkozy, les cultures ont leur racine dans les religions. Si je n’ai mentionné que le judaïsme, le christianisme et l’islamisme comme je n’ai fait allusion qu’aux fables grecques dont Lafontaine s’est inspiré pour illustrer la tendance des hommes à s’expliquer par le comportement des bestioles qui l’entourent; tu aurais pu avoir la générosité de me concéder que je sache qu’il ait existé et qu’il existe dans d’autres civilisations, d’autres religions et d’autres totémismes, tabous ou pas qui ont façonnés et règlent encore, ici et ailleurs, les civilités…

    Pour conclure, je souligne (mes aveux de confusion relevaient d’une fausse modestie au nième degré) qu’il est beaucoup plus difficile (les chances de paraître confus et peu rigoureux ou logique sont beaucoup plus élevées) de faire valoir une posture minoritaire innovante que de se faire fait l’apôtre des discours dominants sclérosés dans l’enseignement national et les dictionnaires.

    Pour les conservateurs, comme Trump, un ‘tweet’ suffit… Pour Castro, ses discours duraient des nuits entières.

    Dormez bien! Et désolé de vous avoir réveillé en sonnant le tocsin!

    Un admirateur insoupçonné de « Pour qui sonne le glas »!

  4. Ayant mis toi-même par ton premier commentaire le sujet « Roman vs Essai » sur la table, il serait bon, pour la clarté du débat, de rester dans ses limites. Si le premier commentaire était de ton propre aveu un peu confus du fait de la précipitation, il ne doit pas en être de même pour le deuxième et le troisième.
    Ils m’ont laissé une forte impression d’habile tour de passe-passe dans la démonstration.
    Le raisonnement suivi est selon moi celui-ci :
    a) L’homme n’a pas de nature.
    b) L’homme imite les animaux, d’où le succès des fables.
    c) Pour être crus des autres hommes, certains ont prétendu que leur message ne venait pas d’eux mais d’en haut.
    d) Ces hommes-là, les ventriloques, ont été des romanciers
    e) Ils ont été les premiers romanciers
    f) Tout romancier se situe dans la lignée de ces premiers romanciers.
    g) Par conséquent, le romancier se prend pour un Dieu, jugeant sans appel, etc…En ce sens il se range aux côtés de, non, il est pire que l’islamiste, le janséniste, etc…
    h) L’essayiste est, lui, muni de toutes les qualités, conscient de sa condition de grain de poussière, rigoureux, impartial, etc… sinon, il renonce à écrire, ou alors il devient ipso facto romancier

    Le tour de passe-passe consiste donc à assimiler tout Roman aux Récits Fondateurs des religions et les romanciers aux auteurs des dits récits, Moïse, Jésus, Mahomet… C’est le droit de tout un chacun de qualifier ces récits de roman, mais dire que ces récits sont représentatifs de l’art romanesque, c’est-presque-à-dire que les romans sont des récits religieux, c’est un peu fort de café.
    Je conteste bien entendu cette fausse logique et voici pourquoi
    a) D’accord, les animaux sont programmés par leur nature, leur instinct, ils n’ont pas de choix. Par contre l’homme n’est pas programmé, il a le choix, certains appellent ça le libre arbitre.
    b) Pas d’accord, les fables sont des contes, souvent moraux, où des animaux ayant des comportements humains sont mis en scène pour les besoins de la cause.
    c) C’est une façon de voir les choses, OK mais, si ce n’est pour introduire le mot fable dans son 2ème sens, quel est le rapport avec b ?
    d) OUI, car selon la démonstration, leurs œuvres sont de fiction. NON, car le but prosélyte de ces ventriloques était de démontrer ou de faire croire à quelque chose, comme tout essayiste et philosophe, au contraire de la plupart des romanciers qui ne cherchent qu’à raconter des histoires.
    e) NON : La bible a été écrite, dit-on, à partir du 8ème siècle avant JC et raconte par exemple l’histoire de Moïse, qui serait survenue dans les années 1300 avant JC. Les dates de Jésus on les connait mieux, et celle de Mahomet, presque aussi bien. Bien avant la plus ancienne de ces dates, des civilisations avancées existaient et on peut penser que des conteurs, des poètes et des mères racontaient déjà des histoires pour endormir les enfants ou leur faire peur. Ces histoires sont selon moi les ancêtres des romans, petits contes inventés pour distraire.
    f) Affirmation pure et simple, contestable ne serait-ce qu’à cause de (e) ci-dessus
    g) Le romancier créé effectivement ses personnages. Il est maitre de leurs destins. Et alors ? En quoi cela est-il mauvais, nuisible, préjudiciable ? Par définition, dans le roman, les personnages sont fictifs. Mais voilà le romancier traité de démiurge, d’islamiste ! Logique imparable !
    h) A une vision cynique des romanciers, assimilés à des ventriloques pervers et prosélytes, on oppose ici sans nuance une vision purement idéale et bisounours de l’essayiste. Or, en publiant ses reflexions et généralemenrt ses conclusions sur un sujet, quel est l’essayiste qui ne cherche pas à convaincre de leur justesse. Combien d’essyistes ont-ils prévenu : moi, je vous dis ça, mais vous pensez ce que vous voulez ?

    Les définitions du Larousse sont les suivantes :

    Roman :
    Œuvre d’imagination constituée par un récit en prose d’une certaine longueur, dont l’intérêt est dans la narration d’aventures, l’étude de mœurs ou de caractères, l’analyse de sentiments ou de passions, la représentation du réel ou de diverses données objectives et subjectives ; genre littéraire regroupant les œuvres qui présentent ces caractéristiques.

    Essai :
    Ouvrage regroupant des réflexions diverses ou traitant un sujet qu’il ne prétend pas épuiser ; genre littéraire constitué par ce type d’ouvrages.

    Roman = œuvre d’imagination ! Fiction ! Ce qu’il raconte, le romancier, ce n’est pas vrai ! Il cherche à distraire, à intéresser, pas à convaincre ou convertir !
    Essai = réflexions d »un auteur sur un sujet, cherchant à convaincre, à démontrer le bien-fondé d’une position

    Ce que nous faisons ici, ce sont des essais dont le sujet est « Roman vs Essai. » Toute acrobatie logique est permise dans l’argumentation, à la condition de ne pas être décelée. Nous cherchons l’un et l’autre, parfois sans espoir, à convaincre de la justesse de notre raisonnement.

    Quand j’écris une histoire, que je ne peux malheureusement pas encore qualifier de roman, je cherche à distraire. Je cherche à ce qu’elle soit intéressante et bien racontée. Mais je ne cherche pas à raconter la vérité ou une vérité, ou alors, je l’appelle récit.

  5. Vers un règlement de l’incident frontière du Roman et de l’Essai!

    Je prends note de mon erreur de lecture des titres.

    C’est l’ouvrage que tu as intitulé: « Incident de frontière » et tes chapitres n’ont pour distinction annoncée que leur ordre de succession.

    Pour les superstitieux, ça finira mal puisque le dernier chapitre est le Numéro 13!

    Il n’y a donc rien à redire sur le fait que le ch.1 soit bien une introduction où les personnages du roman ne sont que bien (ou mal) campés et regroupés dans leur véhicule.

    C’était donc, de ma part, une erreur de croire que l’incident aurait dû se produire dès ce 1er. chapitre. Il n’y avait pas dans ce que j’avais pris pour une absence d’action correspondant au titre, la moindre stratégie cabotine de racolage visant à faire saliver le lecteur jusqu’à Noël pour qu’il puisse trouver l’incident de frontière tant annoncé sous son sapin ou plutôt sous son cèdre du Liban.

    Mon erreur dans ma confusion du titre de l’œuvre complète avec le titre du premier chapitre m’empêche de laisser croire que j’avais en quelque sorte réciproqué en annonçant une clarification de mes propos sans y parvenir. Je reconnais, une fois de plus, que dans cette contre-contre-critique, je ne suis pas arrivé à m’exfiltrer de la confusion manifeste dans laquelle j’avais inscrit ma critique trop spontanée du Ch. 1 et surtout du commentaire qui l’annonçait.

    Le fait que tu veuilles revenir là dessus plus tard me permet de te court-circuiter en simplifiant ma posture, quitte à la caricaturer et ainsi prêter le flanc a une autre critique virulente et cinglante. (je dois être maso!)

    Les grands penseurs ont compris! Par une vexante complexité, ils entretiennent la confusion et s’en tirent à bon compte devant l’éternité!

    Petit penseur qui n’a plus beaucoup de temps pour grandir, je risque le tout pour le tout. Je ne cherche pas à dépeindre la ‘réalité’ ou la ‘véritable différence’ entre le roman et l’essai mais, plus modestement, à faire part de mon méta-roman sur les incidents de frontières mouvantes (comme le Rhône sur le delta de ses embouchures méditerranéennes) entre le genre littéraire et le genre philo.

    Par cette métahistoire sur deux types de ‘narratives,’ je ne prétends pas trancher ce débat en tenant d’imposer ‘La Réalité’ ou ‘La Vérité’ (à laquelle, je serais le seul, comme Trump, à avoir accès) aux fantasmes des autres. Si mon présent propos a une prétention (qui justifie que je le tienne en empruntant l’espace de ce blogue), elle n’est que heuristique! Je ne propose que quelques hypothèses ou conjectures que j’espère susceptibles de nous guider (par la provocation) dans l’exploration de nos façons de concevoir le monde, les autres et nous mêmes.

    Au départ, je me réclame d’au moins deux prémices.

    1) l’absence de nature de l’homme. Contrairement aux autres êtres vivants, l’homme n’a aucune raison d’être. Les autres êtres vivants sont téléologiques (leur comportement est amplement prédéterminé par leur nature), l’Homme est télésitique (son comportement est le fruit de sa propre réflexion, éventuellement guidée par celle des autres qui, lorsqu’il se l’approprie, peut devenir sa culture). Le sens de la vie est donné à l’animal tandis que l’être humain doit se le construire. Les animaux sont dotés de facultés de communication, l’homme a dû et doit inventer les siennes… Comme il n’est pas très doué, l’incommunicabilité caractérise la condition humaine.

    2) Fort de ses faiblesses; – bon à rien, il peut tout -, l’Homme constate que les animaux survivent autour de lui. Ne sachant que faire, il les a imités. D’où le succès des fables que La Fontaine a piqué aux Grecs. Égaux dans leur non-sens, les Hommes ont toujours douté des systèmes de références symboliques qu’ils ont tenté d’élaborer pour survivre face aux êtres téléologiques qui peuplaient leur environnement. Sachant qu’ils ne pouvaient guère être persuasifs en tant qu’êtres humains s’adressant à leurs égaux, certains petits génies ont eu l’idée de faire croire que leurs inventions purement télésitiques étaient supérieures à celles de leurs alter-egos. Ils ont alors prétendu et fait croire qu’elles ne provenaient pas de leur imagination mais, comme chez les animaux téléologiques, de la Nature ou du créateur de celle ci, un dieu eternel (précédant et engendrant le Cosmos), omniscient puisqu’il a nommé (et donc décrit) ses créations en les réalisant à partir du néant.

    Ensuite, les êtres humains, créateurs des Dieux et du Cosmos, ont temporairement et localement réussi à imposer leur œuvre descriptive à leur semblable. Ils leur ont fait croire qu’ils n’en étaient pas les auteurs mais qu’un être supérieur, un Grand Horloger, les avaient choisis pour leur révéler la véritable essence du cosmos et le rôle des Hommes en son sein. Ces premiers ‘communiquants’ ont trouvé un truc génial pour imposer leur vision du monde et des Hommes à leurs concitoyens/coreligion-naires, pauvres cons non-élus des Dieux. Ce truc génial consistait à faire passer leurs histoires à dormir debout c’est à dire les romans qu’ils avaient pondus pour l’œuvre des Dieux.

    Après ces prémices romancées, revenons aux deux cotés de la frontière fluctuante… mais ‘nec mergitur’ (hélas)

    Vous me voyez bien revenir…. Les premiers inventeurs des grandes histoires qui dominent les cultures méditerranéennes: Moïse, Jésus (via ses évangélistes), Mahomet, seraient donc, selon la conjecture, ici proposée, les premiers Grands Romanciers de l’épistémè judéo-greco-romano-chrétienne-islamiste. Les ventriloques des Religions du Livre!

    En se réclamant de Jupiter, Yahvé, Dieu le Père ou d’Allah, tous plus ou moins créateurs du Cosmos et de ses locataires, les ventriloques ont réussi à transformer leur roman à dormir debout en gigantesque et permanent succès de librairie. En prétendant décrire, c’est à dire nommer les choses (dans le judéo-christianisme c’est le verbe qui apparaît en premier), tous le romancier s’inscrivent inéluctablement parmi les ventriloques des dieux.

    Greco-Judeo-Christiano-islamiste par les mots et le style qu’ils emploient, comme la crédibilité dont ils pensent jouir chez les gens BIEN DISPOSÉS (c’est à dire chez celles et ceux dont le telesitisme a été transformé [ou castré] en téléologie par les leaders de leurs réseaux de coerséduction [pédophilie intellectuelle fondatrice de l’éducation]), les romanciers occidentaux inscrivent leurs œuvres dans la foulée des Grands Romans Fondateurs. Ils se prennent, à leur tour, pour des Dieux décrivant, c’est à dire nommant et donc, jugeant sans appel, leurs personnages dont ils sont totalement maîtres de l’apparence identitaire et du destin. On fait alors dans le téléologisme pure, pire que celui de l’islamisme, du Jansénisme et du protestantisme affairiste américain.

    Après ce portait diabolique du roman divin, il devrait m’être facile de faire paraître l’essai sous des traits sympathiques.

    Toutefois, j’ai concédé dans la réponse précédent celle-ci, que l’essai pouvait parfois avoir tous les défauts du roman et j’ajouterais que, parfois, certains romans, pivots d’un changement de paradigme peuvent aussi avoir les qualités de l’essai pour lequel je prends parti.

    L’essai pour moi, s’il est réussi, (il y en a peu, pour ne pas dire pas) est l’œuvre OUVERTE d’un penseur qui se sait n’être qu’un sept milliardième des êtres humains vivants, qui ne se revendique d’aucune autorité transcendante (si ce n’est de quelques lectures et de quelques raisonnements parmi une infinité d’autres qu’il ne sait même pas qu’il ignore).

    Idéalement, l’essai repose sur le doute absolu quant à l’efficacité de la communication. Il spécule sur un éventuel accès de l’homme à son télésitisme (capacité de s’auto gouverner à partir de ses capaciyés d’auto-réflexion) et à sa réciprocité ce qui autorise le dialogue dénué de recours au transcendantal.

    L’essai questionne la véracité des descriptions des romans dominants. Il examine les mécanismes de pouvoir qui sous tendent le lien descriptif selon lequel le symbole du romancier équivaudrait à ce que le lecteur croit être La Réalité. (D’où les fréquents recours aux stéréotypes et clichés dominants tels que la rapidité de succession des modes américaines et l’inculture légendaire des Australiennes).

    Toutefois, j’admet volontiers que l’essai qui se sclérose, qui conforte une nouvelle vérité transcendante devient un roman.

    L’essai, pour moi, doit donc se situer au point de départ d’une contestation, d’une demande de changement de paradigme, d’une révolte dans le monde du savoir. L’œuvre de Darwin, peut être comme tous les schismes et toutes les œuvres de dissidents qui proposent une hypothèse alternative aux dogmes dominants, me semble exemplaire de l’essai idéal.

    Pour prendre un exemple encore brûlant en France, je considère que ‘Les Héritiers’ et ‘La Reproduction’ de Bourdieu et Passeron méritent d’être classés parmi les essais admirables.

    Ils s’attaquent au roman dominant des années 50 selon lequel la réussite scolaire et universitaire serait exclusivement due au travail studieux, à l’intelligence, au don, au mérite et à l’astuce de l’élève ou de l’étudiant. Statistiques à l’appui de leur levier contestataire, Bourdieu et Passeron suggèrent que le succès scolaire et universitaire semble plutôt dû à la coïncidence des valeurs, des savoirs, des habitudes qui prévalent dans l’habitus d’origine de l’élève ou de l’étudiant avec ce qui fait l’objet de l’enseignement scolaire et universitaire dans un pays donné à un moment précis.

    Réussit mieux à l’école et à l’université celle ou celui qui sait où il va (vers quel champs d’études il se destine) car ses parents y sont déjà (ou en détiennent une carte écran radar adéquate). Réussissent mieux celles et ceux dont les parents ont une bibliothèque où prônent les ouvrages enseignés dans les cours de français et de littérature. Réussissent mieux celles et ceux que les parents emmènent au théâtre et au musée où l’on joue et montre ce dont les profs parlent à l’École. Réussissent mieux les étudiants qui grandissent dans un environnement propice à la lecture et à la réflexion personnelle (avoir sa chambre, accès à un bureau et à une bibliothèque). Enfin, – et j’en passe – ceux qui parviennent le mieux à démontrer en classe qu’ils acquièrent du capital culturel sont ceux qui l’ont déjà à la maison. En bref, le succès scolaire dépend du degré de coïncidence de l’habitus parental avec celui que valorise l’école.

    C’est lors de la mise en doute du paradigme dominant que l’essai rencontre son plus haut degré de pertinence et s’éloigne le plus du roman. Par contre, si la cause de l’essayiste est entendue en hauts lieux, et si les décideurs politiques y adhèrent inconditionnellement, on rentre dans un nouveau roman, bourré de certitudes qu’il conviendra de faire sauter par de nouveaux essais.

    L’essai parfait est le manuel de la dissidence et de la révolution permanente (dans les domaines religieux, scientifique et politique)!

    Le roman parfait fige la vie et condamne ses personnages à n’être que ce que l’auteur a divinement décidé de ce qu’ils sont et seront.

    Le romancier haït la résilience du condamné à vie qui aurait l’audace de tenter de démentir son jugement final.

    Philippe n’aime guère ce grand traducteur de la résilience américaine qu’est Boris Cyrulnick. Il croit (on l’a lu dans l’une de ses histoires) qu’une « Belle de jour » sera pute toujours! Et pourtant l’histoire, surtout l’histoire d’aujourd’hui est pleine de putes devenues femmes de Présidents!

    Conclusion:

    j’espère qu’aucun romancier, surtout toi, Philippe, ne fera de moi l’un de ses personnages! Ce qui resterait de mon destin serait à jamais figé, imprimé sur ta carte écran radar!

  6. « Incident de frontière », c’est le titre de l’histoire.
    Le chapitre 1 a pour titre « Chapitre 1 »
    Pour le reste, on verra plus tard.

  7. IncidentS de frontière entre la littérature et la philo?

    Puisque dans ton Ch. 1 intitulé « Incident de frontière, » les personnages s’arrêtent à un buisson (comportement fréquent au Moyen Orient) avant d’atteindre la frontière Syrie/Liban et que, faute de frontière, il n’y a pas encore d’incident, (il viendra sans doute dans le ch. 2 et c’est là, j’imagine, une façon de maintenir le lecteur en haleine), j’ai cru utile (pour moi et mon projet) d’en créer un, d’incident, à la frontière Roman/Essai.

    Cette fois, j’admets sans rechigner que mes propos étaient très confus. Je ne dirai pas que c’était une stratégie élaborée de ma part, ce serait faux et prétentieux. Je savais que beaucoup de choses s’entremêlaient sous ma plume et que je tirais à tort et à travers (le ‘loose canon’ Trump vu par Hilary!).

    Certes, j’aurais pu et dû prendre plus de temps et clarifier mes propos. Cela aurait évité que tu aies l’impression que j’étais mal disposé en te lisant.

    Par contre, vue l’habituelle méticulosité avec laquelle tu répliques à mes propos épars, je suis enclin à une certaine paresse, à un certain laisser aller; sachant que tu me faciliteras leur mise au point dans le troisième temps de nos échanges dialectiques.

    Aussi, j’ai laissé aller en désordre et parfois dans des amalgames douteux mes éclaireurs dans le pays des romanciers avec l’espoir, comblé par ta réponse, de voir à partir de quelles positions et en fonction de quels arguments tu allais les descendre, ou mieux, les renvoyer au pays des philosophes! Je ne tromperai personne en faisant croire que cela était savamment pensé de ma part. Au contraire, je reconnais que je l’ai fait dans la précipitation en espérant quand même déclencher quelques répliques.

    Comme à l’accoutumé, tu t’es donné beaucoup de mal, je vais donc m’efforcer, à mon tour, de préciser les choses.

    Heureusement, il y a, dans mon esprit (sur ma carte écran radar), des distinctions dont je n’ai absolument pas tenu compte dans mes propos du 18 Décembre.

    En ce qui concerne les différents genres de romans, sur ma carte écran radar il y a deux zones immenses de regroupement. Elles ne constituent pas des continents séparés par d’immenses océans. Ce sont plutôt des contrées qui se jouxtent et parfois se superposent en palimpsestes. Les incidents frontaliers y sont fréquents et inévitables!

    Pour moi, le roman, l’histoire, « the narratives, » les écritures saintes, les idéologies, les théories scientifiques, les paradigmes, les épistémès, les constitutions, etc. constituent ce qui nous permet de donner du sens à nos vies, nos sociétés et nos environnements.

    Il ne faut jamais oublié que mes études (cours suivis, recherches et lectures universitaires) m’ont amené à la croyance (conjecture ou théorie) que les êtres humains, en général, ne parviennent pas à communiquer si l’on entend par communication: l’aptitude à comprendre d’une part: ce que les autres veulent nous dire et de l’autre, à nous en faire comprendre.

    Je crois donc que, confrontés à l’incommunicabilité, les êtres humains ont inventé des dieux (j’emploie le pluriel car leS monothéismeS arrivent tardivement dans l’histoire de l’humanité et, si l’on y réfléchit bien, on constate que chacun a sa propre vision de ce qu’est son Dieu. cf. U Beck, A God of One’s Own); des dieux qui, par le biais d’êtres humains s’autoproclamant leurs ventriloques officiels et institutionnels, expliquent aux croyants la genèse du monde qui les entourent et dans laquelle Dieu a placé les Hommes.

    Les grands romanciers: Moïse, Mahomet, Jésus nous racontent donc ce que l’Auteur de Tout, l’auteur du roman du cosmos et de l’humanité a créé et nommé en les réalisant.

    Ce sont donc là, pour moi, les grands romans dont le style ‘made in’ institutions religieuses en garanti l’origine divine.

    Tu conviendras, Philippe, que ces romans: la Bible, le Talmud, les Évangiles, le Coran et leurs variantes (Judéo-Chrétiennes, Protestantes, Shiites vs. Sunis: Wahabites, Salafistes, etc.) imputables à la fragmentation des écoles, castes, églises, sectes, etc. des ventriloques du divin, sont les ‘bests sellers’ de tous les romans qui ont été pondus jusqu’à nos jours.

    Je mets dans le même coin de ma carte écran radar, les romans écrits par des hommes qui se sont opposés (avec plus ou moins de franchise – inquisition oblige) à la transcendance divine. Aux romans créationnistes, j’oppose les romans de l’évolution sélective darwinienne. Aux récits biologiques ou génétiques, j’oppose la théorie des genres et les approches sociologiques et anthropologiques. À la pesanteur Newtonienne, j’oppose les paradigmes du relativisme einsteinien et me perd dans les approches quantiques qui voudraient qu’il y ait autant de définition des objets observés qu’ils ont d’observateurs à un moment donné. Ça fait du chiffre! (7 milliards X T1, T2, Tn!)

    Néanmoins, pour moi les théories scientifiques qui s’agglutinent autour de paradigmes sont équivalentes aux œuvres de romanciers que l’on regroupe en école ou tendance ou mode.

    Le problème qu’il y a avec ces raconteurs d’histoires (Darwin, Marx, Einstein, etc.) est qu’étant souvent opposés aux narrations religieuses (Darwin vs. le Créationnisme) par transfert du religieux au scientifique on leur donne des valeurs transcendantes qui, paradoxalement nous ramènent au religieux. Sans doute un problème de style. Dieu fait la réalité; les savants se l’approprient en la décrivant ou en en décrivant le fonctionnement!

    Je veux bien mettre dans cette catégorie de nombreux auteurs de ‘sciences’ sociales ou ‘humaines’ (bien qu’il y ait un oxymore dans ce dernier cas) et de nombreux philosophes qui prétendent décrire la ‘Réalité’ ou atteindre ‘La Vérité,’ là où leurs collègues – à les lire – restent dans le fantasme, la bévue, le rêve ou voient le monde la tête en bas (je ne pense pas aux Australiens mais aux réflexions du jeune Marx sur les perspectives Hegeliennes). C’est là, tu en conviendras, une concession majeure à ta contre-critique: beaucoup d’essayistes veulent être crus comme les ventriloques des dieux. Le Psy est le ventriloque de ce qui se passe dans son propre cerveau comme dans ceux de ses clients. Pour bien faire son travail, il doit être le client d’un collègue! Comme les confesseurs doivent se confesser à leur pair ou père et la police se soumettre à la police des polices! C’est leur façon d’être crédibles… ils ont le style qu’il convient!

    Je concède que tous les chercheurs et auteurs d’essais qui se réclament de Vérité (en vérité je vous le dis, disait Jésus, selon les apôtres évangélistes), de « Réalisme » (le Freudisme) ou de Pragmatisme (action efficace à partir d’une analyse réaliste) rentrent bien dans l’univers des ventriloques des dieux ou de la nature. Les biologistes et les écologistes parlent au nom de la nature de l’homme et de son environnement.

    Je reviendrai en conclusion sur celles et ceux qui, plus modestement, s’essaient dans l’essai car je n’ai pas encore traité ici de l’essentiel: le roman dans lequel tu inscris ta prose: les artistes romanciers.

    Contrairement aux ventriloques qui prétendent raconter des histoires vraies parce que divines ou scientifiques, J’ai bien compris que tu ne te réclamais d’aucune autorité et d’aucune transcendance. Ce que tu écris est le fruit de ton imagination humaine, trop humaine, de ta mémoire, de tes lectures, des films que tu as vus, etc.

    Tu ne prétends pas décrire la réalité ou ce qui s’est vraiment passé. Tu écris pour susciter ou reproduire à peu près chez tes lecteurs le plaisir que tu éprouves toi-même en écrivant. Style agréable, humoristique, plaisant, émouvant, etc. Tu vises à provoquer un orgasme littéraire chez tes lectrices et lecteurs (on admettra ici que, dans la tête, le genre, n’a pas beaucoup d’importance).

    En ce qui me concerne, il est évident que j’ai du plaisir à te lire. Je le fais à la place de ma prière du matin! Dieu me parle, la moindre politesse est de l’écouter aussi attentivement que possible et, pour lui signifier que j’ai bien pris en compte ses propos, je lui fais part de ce que leur lecture a ébranlé dans mon esprit ou sur ma carte écran radar!

    Si je ne doute pas une seconde qu’il n’y a pas d’intention de manipulation dans tes écrits, – tout au plus, une tentative de distraction agréable -; tu admettras quand même qu’il y a quelque chose de divin, de CRÉATIONNISTE, dans la pratique du métier de romancier.

    Comme le Dieu de la genèse, tu crées une intrigue, une situation, un décor dans lequel des personnages se comportent exactement selon tes directives et ils ont exactement les traits de caractère et les aspects physiques que tu leur confères. Il y a là quelque chose de divin puisque, comme Allah, via l’archange Gabriel, a dicté le Coran, tu écris leur destin. « It was written, then » nous dit Antony Quinn dans ‘Lawrence of Arabia!’

    Tu ne peux pas nier que lorsque tu te mets devant ton ordinateur, tu (en tant que Romancier) te prends pour Dieu! Tu crées tout le petit monde que tu vas faire évoluer dans une durée et un cadre géographique totalement déterminés par la description que tu en fais. Là, ton pouvoir divin est à son comble, tu contrôles tout sur ton écran. Le quotidien t’affecte peu. L’histoire que tu narres se déroule comme tu l’as envisagée quoi qu’il arrive dans le monde ou, tout simplement, dans ton environnement immédiat. Cette indépendance et la création dont elle accouche ont quelque chose de divin!

    Mais, hélas ou heureusement, le pouvoir divin de l’écrivain s’arrête sur son papier ou sur son écran! Dés que l’écrivain publie (ou envoie son manuscrit chez l’éditeur) ou dès qu’il clique pour poster sa prose sur son site-web: c’est le lecteur qui devient Dieu ou Diable selon ses propres DISPOSITIONS lors de sa prise en compte, comme tu le dis si bien (avec un humour que j’apprécie beaucoup) dans la conclusion de ta réplique.

    Si ton lecteur est conscient qu’il décrypte (décode, donne un sens à) ce que tu lui as mis sous les yeux via internet en fonction de sa propre carte écran radar et donc en fonction de son historicité ou histoire personnelle; par réciprocité dans sa curiosité qu’il sait humaine, il se demandera qu’est-ce qui, dans ton histoire, a bien pu t’amener à écrire des choses pareilles? Le Dieu créateur, tout à coup, (sous le coup de la lecture) redevient homme situé dans l’espace et le temps!

    Dans ce constat (hypothétique – dans la mesure où le lecteur sait ce qu’il fait quand il lit), il n’y a rien d’original. Même dans les manuels scolaires pré-bacs, les grands romanciers nous sont expliqués par le contexte dans lequel ils ont vécu. Je me souviens que la sensibilité ou l’intuition féminine de Chateaubriand était attribuée au fait qu’il avait été élevé par sa mère et ses trois sœurs…

    S’Il est très courant – et même d’une banalité affligeante – d’expliquer l’œuvre d’un auteur par son historicité, je pense qu’il serait original, ou au moins peu banal, d’expliquer le comportement social d’un auteur selon le roman qu’il a fini d’écrire.

    Puisqu’il a fabriqué des ‘characters’ (personnages de roman) n’a-t-il pas tendance à camper les personnes – avec lesquelles il est quotidiennement en interaction – dans les rôles et les caractères que son imagination a construit à leur égard?

    Puisqu’il a su ce qu’allait devenir ses personnages dans son roman, ne risque-t-il pas de croire et de faire croire qu’il sait ce que vont devenir celles et ceux qui l’entourent et avec lesquels il interagit?

    D’une certaine façon, puisque nous n’avons pas accès au réel et donc à l’essence et au destin d’autrui, façonnés par les grands textes, nous nous prenons (sans y penser) pour des romanciers et imaginons les autres (qui font partie de notre univers cognitif et affectif) comme répondant à la description que nous nous en faisons selon l’imagination du romancier que nous sommes inconsciemment.

    Nous sommes tous des romanciers, je crains. Mais la plupart d’entre nous ne couchons pas par écrit le portrait que nous nous faisons mentalement des autres. Les romanciers écrivent et comme les écrits restent et sont parfois publics, les romanciers risquent d’être plus coincés dans leur perception créatrice que ceux qui ne se sont pas aussi catégoriquement et précisément exprimés.

    Au risque d’être confus, encore un peu, il me faut conclure. Espace et temps obligent!

    N’ayant pas accès au réel (condition humaine) nous nous refugions dans de grands romans qui donnent un sens illusoire à la vie et nous permettent d’agir ensemble. Aussi, dans mes modestes tentatives d’essais, je cherche donc des romans et bouts de romans qui nous fourniraient des modèles de vie intense (mon côté Nietzschéen), en harmonie (respect de la hiérarchie de Montesquieu allant de l’individu à l’humanité) et sans qu’aucun être humain ne soit abandonné ou ‘left behind’ (mon côté catho-coco-US Marines)!

    Chacun vit son roman, respectons celui des autres… surtout s’ils sont encore en train de l’imaginer!

    Je suis d’accord avec Philippe, n’imposons pas à autrui, le personnage que nous en avons fait dans nos romans perso! Quant à l’essayiste, je sais qu’il sait que l’autre lui échappe surtout s’il suit une approche quantique des cantiques! (Comment un sept milliardième de l’humanité peut-il comprendre l’humanité? Et s’il fait connaître sa théorie, il sait que ses lecteurs s’efforceront de l’infirmer!)

    Désolé… on reste confus quand on réfléchit dans les champs de Pop Corn!

    Pardonnez moi, je n’ai pas la ‘Stamina’ de Philippe! dirait Trump!

  8. Tout d’abord, je n’ai pas compris le sens de cette invocation :
    « Bien sûr, « le bon style » interdit de contester ces récits!
    Quand cesserons-nous de nous laisser bercer par les histoires que les ventriloques du divin ou d’autres autorités transcendantes nous narrent pour enfin, nous prendre en main et vivre notre histoire à nous qui avons trop longtemps consenti à la soumission aux ventriloques au bon style (comme disait le pote à Montaigne)? »

    Qui sont les ventriloques du divin ? Les romanciers qui écrivent des histoires inventées pour faire plaisir au lecteur, ou bien les essayistes et assimilés qui voudraient bien que le lecteur pense comme eux ?
    Je n’ai pas compris. Alors, il se peut que mon commentaire ci-dessous soit un pur contre-sens. Tant pis.

    Tu as écrit :
    « Dans le doute, le philosophe s’abstient alors que le romancier, homme fait Dieu tout puissant et omniscient, raconte l’histoire qu’il invente et décrit selon le style qui convient pour être cru de ses naïfs lecteurs qui, souvent moins bien équipés que les philosophes, vivent depuis toujours dans les histoires que leur raconte les ventriloques des Dieux. »  

    Pour écrire une nouvelle ou un roman, une des questions qui se pose à l’auteur est celle du point de vue, autrement dit d’où, de quel endroit, par qui l’histoire va-t-elle être racontée ?
    Une des techniques des plus classiques est celle qu’il est convenu d’appeler le point de vue du « narrateur omniscient« . Il ne faut pas se méprendre sur ce terme qui ne veut pas dire que l’auteur sait tout sur tout, mais que le narrateur est extérieur à l’histoire et qu’il sait tout de ce qui s’est passé et de ce qui se passe, un peu comme s’il avait assisté à toute l’histoire en témoin invisible.
    C’est ce point de vue que j’ai choisi pour mon « Incident de frontière ».
    Pour le romancier, ni le point de vue ni le style ne sont choisis pour faire croire quelque chose à ses naïfs lecteurs, pour la simple raison qu’il n’est pas question de faire croire quoi que ce soit à qui que ce soit, naïf ou pas, mais seulement de raconter une histoire qui plaise, qui émeuve, qui fasse trembler ou sourire… (Pour l’essayiste, le journaliste d’investigation, le thésard, c’est en général plutôt le contraire.)

    Je ne saisis pas très bien le rapprochement que tu fais entre, selon une de tes expressions fétiche, les ventriloques des Dieux (le pluriel n’est pas habituel) et les écrivains. Zola, Sagan, Maupassant, Céline, Houellebecq, ventriloques de Dieu ? Salinger, Miller, Steinbeck, ventriloquists of God ?

    Tu dis que les romanciers veulent faire croire, c’est-à-dire convaincre de naïfs lecteurs, moins bien armés intellectuellement, tandis que les philosophes, modestes et scrupuleux, s’abstiennent.
    C’est très curieux, mais j’ai quand même l’impression que c’est souvent l’inverse. Je ne veux pas dire que les romanciers s’abstiennent, mais que les philosophes veulent convaincre leurs lecteurs, plus ou moins naïfs. Ils ont pour cela les armes qu’il faut, la connaissance de l’histoire de la philosophie, à quoi se résume parfois la philosophie, la rhétorique, les notes de bas de page, les références et les citations, sans compter qu’ils tiennent la plume.

    Ceci dit, j’espère que le chapitre 2 te trouveras en d’aussi bonnes dispositions.

  9. Bon départ! Les personnages sont bien campés! Comme les profs. nous enjoignaient de le faire à l’école.

    L’avantage du romancier est de prendre la place du Dieu Créateur d’Hommes. (Le H dans ‘Hommes,’ symbolise ici tous les genres humains qu’ils soient naturels ou artificiels, théoriques ou organiques!)
    Les personnages, disais-je, sont tels que le romancier-Dieu les fait et non tels qu’il les perçoit ou tels qu’ils lui apparaissent.

    Ils sont ce qu’il affirme qu’ils sont et leur destin est écrit dans sa tête de Dieu et non dans celle de ses créatures (qui dans cette religion romanesque ont perdu la liberté de choix à laquelle le Judéo-christianisme tient tant!). Point à la ligne ou plutôt au chapitre 2.

    Le philosophe qui s’essaye à l’essai, au départ, pose sa plume ou retire ses doigts du clavier. Il s’efforce de répondre à une infinité de questions qui lui passent par la tête!
    En proie au doute, il cumule les obstacles! Pourquoi moi? Pourquoi ce champs d’observations? Ai-je bien la carte écran radar adéquate? Mes sens et instruments d’observation sont-ils bien aiguisés? Mon centre de perspective (ce lieu d’où j’observe et d’où je parle) est-il bien situé? Mes idées préconçues (qui structurent et bornent ma carte écran radar) sur la mode américaine du jour et l’éternelle inculture australienne ne construisent-elles pas (par le miracle de la projection de mon imaginaire) le caractère et le mode de vie des personnages que je suis sensé ‘décrire?’

    Ne pouvant répondre honnêtement à ces questions, le philosophe s’arrête là, tout net! S’il est vraiment très honnête, il fait disparaître les traces de son projet avorté.

    Il fait bien, car rien ne va dans le sens qu’il anticipait. La conclusion, inimaginable au départ et même quelques secondes ou lignes avant qu’elle se dessine à l’horizon, se déroule dans l’univers inconcevable (au début et au cours du récit) d’acteurs perdus sur des terres et mers incognitae!

    Dans le doute, le philosophe s’abstient alors que le romancier, homme fait Dieu tout puissant et omniscient, raconte l’histoire qu’il invente et décrit selon le style qui convient pour être cru de ses naïfs lecteurs qui, souvent moins bien équipés que les philosophes, vivent depuis toujours dans les histoires que leur raconte les ventriloques des Dieux.

    Bien sûr, « le bon style » interdit de contester ces récits!

    Quand cesserons-nous de nous laisser bercer par les histoires que les ventriloques du divin ou d’autres autorités transcendantes nous narrent pour enfin, nous prendre en main et vivre notre histoire à nous qui avons trop longtemps consenti à la soumission aux ventriloques au bon style (comme disait le pote à Montaigne)?

    Ceci dit, j’ai hâte d’être à Noël pour dévorer le chapitre 2.

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