Les Femmes savantes (Critique aisée n°87)

La grande salle du théâtre de la Porte Saint-Martin est pleine et bruisse gentiment d’un public plein bonne volonté : on est dimanche après-midi.

Je m’installe à la place 2A à 58 Euros au deuxième rang de corbeille en me demandant une fois de plus si un siège de théâtre peut véritablement être appelé fauteuil. Je me glisse donc dans mon abus de langage et force mes genoux à glisser le long du dossier du siège qui est devant le mien. L’homme de bonne taille qui y est assis et qui me cache un gros tiers de ce qui n’est encore qu’un rideau rouge me fait comprendre par un mouvement des épaules et du fessier que ça-va-bien-pour-cette-fois-mais-bon…
Une annonce donne les consignes relatives aux téléphones portables et aux photographies.
Les lumières baissent, le rideau se lève sur un autre rideau, translucide celui-là.
Tiens, je n’ai pas entendu les trois coups.

Derrière le tulle, trois apprentis-comédiens-machinistes font semblant de mettre en place quatre caisses à claire-voie et se retirent. Le rideau flouteur se lève à son tour.

Le décor est très beau, très grand, trop grand, on le verra.
Deux jeunes femmes entrent et se disputent en traversant la scène en tous sens dans de belles robes. On ne comprend pas très bien ce qu’elles se disent, mais la dispute devient violente, et l’une ou l’autre, ou bien les deux se roulent par terre en criant. Sommes-nous bien dans une comédie de Molière ou ont-elles vu Maria Casarès dans Phèdre ?

Bon, je sais, il serait temps que j’entre dans le sujet, mais, c’est drôle, je n’arrive pas à dire du mal de cette pièce. Dire du mal de Molière, d’abord, est-ce possible, ou même seulement permis ?
Disons quand même que, si la pièce est bonne, sur le plan humain elle l’est beaucoup moins que le Misanthrope, sur le plan social beaucoup moins que l’Ecole des Femmes et sur le plan comique beaucoup moins que le Bourgeois Gentilhomme.
Je ne vais pas vous raconter l’intrigue, et si vous ne la connaissez pas, faites comme d’habitude, faites semblant, .

Toutes ces circonvolutions vous ont fait comprendre que je n’ai pas été emballé par la pièce telle qu’elle a été montée par Catherine Hiegel, avec Agnès Jaoui (Philaminte, la plus savante des femmes savantes), Jean-Pierre Bacri (Chrysale, le plus docile des maris), Evelyne Buyle (Bélise, la plus illuminée des mythomanes) Philippe Duquesne (Trissotin, le plus veule des coureurs de dot) et quelques autres.

Et pourquoi donc n’ai-je pas été emballé plus que ça ?
Eh bien voici les motifs de mon mécontentement :

Que la mise en scène mette en valeur le personnage de Chrysale, somme toute secondaire, au détriment de Philaminte ne me parait pas gênant du tout et Bacri tire très bien la pièce à lui. C’est un choix de mise en scène acceptable, fondée sur l’attractivité de Bacri dans un rôle classique. On regrette un peu que Molière n’ait donné que si peu de lignes à Bélise, car Evelyne Buyle, dans sa douceur et sa certitude illuminée, est vraiment parfaite.

Mais le spectacle pêche par bien d’autres points importants.
Les comédiens n’arrivent pas à occuper l’espace qui leur est offert, trop grand, trop vide.
Leurs mouvements manquent de fluidité et de continuité : il y a parfois de grands « blancs » (silence et même scène vide) entre deux scènes ou deux répliques qui font penser à une mise en scène de pièce intellectuelle des années soixante.
La diction et la scansion des alexandrins sont si scrupuleusement respectées que l’on pourrait se croire à un concours de récitation d’une classe de quatrième.
Et les voix, mon Dieu, les voix ! A part Bacri et Buyle, qui ont une élocution assez claire et une voix assez forte pour cette grande salle, les autres acteurs, même bons, laissent franchement à désirer sur ce plan et font perdre une bonne partie du texte.

Tout cela n’est pas très satisfaisant, mais qu’importe : le théâtre est plein. Merci, Monsieur Bacri, vous faites le job.

6 réflexions sur « Les Femmes savantes (Critique aisée n°87) »

  1. Excellent! Tu devrais te faire un blog à toi tout seul!

    J’admire l’ouvrage! Remarquable, indeed! et Cocorico!

    Sans rompre la trève des confiseurs… et ne sachant pas par où te rejoindre? Par en haut, par en dessous (20 mille lieux sous les mers, puisque nous sommes en plongée) ou de loin par les flancs (sans tirer!) j’ai toujours eu la nette impression que lorsque tu me disais que tu ne comprenais pas mes propos… il était clair que tu les trouvais incompréhensible, c’est à dire « barbares » comme disaient si bien les ancêtres grecs de La Fontaine et d’autres auteurs français!

    Je crois que tes conceptions de la communication privilégient les ‘communiquants’ (dans le sens technique et non commercial ou politique) c’est à dire celles et ceux qui conçoivent et diffusent leurs œuvres ou produits communicationnels.

    De mon côté, je privilégie le récepteur. Ce qui veut dire que c’est lui qui est responsable du sens ultime du processus communicationnel auquel il participe par son décryptage.

    Ce n’est pas une question d’être malin ou pas. Si une personne comprend mal l’accent d’un locuteur d’une autre province (belle ou pas) que la parisienne, c’est qu’il ne s’est pas assez familiarisé avec ce langage ou ses locuteurs (il devrait pratiquer l’immersion provinciale). Si un psychiatre ne comprend pas les élucubrations de son client… c’est qu’il n’a pas assez lu Freud ou Lacan!

    À quand les vacances?

  2. Si je ne subodorais pas la part de provocation qu’il y a dans ce dernier commentaire, et le moyen d’obtenir ainsi une réponse espérée cartésienne, une réponse de pure logique, point par point, pour tout dire une réponse d’ingénieur comme se plaisait à se moquer l’un de mes associés d’antan, une réponse toute engluée d’éducation bourgeoise et de culture judéo-chrétienne apprise forcément par cœur, toute alourdie d’une inconscience de classe, inconscience de l’état du monde et des complots qui s’y trament, si enfin je prenais ce commentaire au pied de sa lettre, je dirais qu’il est empreint d’une certaine hauteur. Mais comme je subodore, je ne le dirai pas. Je l’ai dit ?
    « D’où tu me parles, toi ? »
    C’est une expression utilisée dans le midi de la France qui signifie, je crois : « A quel titre, de quelle situation, de quel lieu, de quelle manière, sur quel ton me parles-tu ? »
    Eh bien, aujourd’hui, comme dit plus haut, tu me parles d’une certaine hauteur, avec hauteur pour ainsi dire et dans ces conditions, il est difficile de ne pas être condescendant.
    Si j’ai trouvé ton commentaire « énigmatique », et tu remarqueras que le qualificatif est aimable car dans « énigmatique », on sent la recherche de finesse de l’auteur que le lecteur n’a pas été assez malin pour découvrir, j’aurais pu tout aussi bien dire incompréhensible, si donc je l’ai trouvé énigmatique, c’est bien entendu parce qu’il était situé trop haut ou trop profond, en tout cas à un niveau inatteignable pendant la trêve des confiseurs, ou peut-être même toute l’année, on ne sait pas.
    La France ressasse sa culture, etc., dis-tu. Cette affirmation me parait gratuite et mal fondée. Il y a environ deux cents théâtres à Paris, sans compter les opéras. Sur ce nombre, j’imagine que pas plus d’une demi-douzaine jouent des pièces classiques françaises. Je suis persuadé qu’un plus grand nombre joue des pièces classiques étrangères, anglaises, russes, italiennes… , disons une douzaine. Les salles qui restent, et ça fait beaucoup, présentent des pièces contemporaines ou modernes, françaises ou étrangères, drames ou comédies, boulevard ou avant-garde….
    Selon mes recherches superficielles, mais pas davantage que celles que j’ai menées sur Paris, le nombre de salles de théâtre à Londres serait inférieur à la quarantaine. Combien d’entre elles ressassent-elles cette vieille culture anglaise poussiéreuse en jouant ad libitum des pièces de Shakespeare, de Marlowe, de Shaw, de Wilde, sans compter les adaptations de Dickens ou de Chesterton ?
    Selon les mêmes recherches, il y aurait vingt-deux théâtres à Montréal. Il serait intéressant de savoir combien parmi eux moulinent de la vieille culture bilingue.
    L’affirmation que sur le nouveau continent s’entrechoquent les cultures me parait vraie, mais quand même pas mal cliché.
    Pour chaque génération d’auteurs, les anciens, les ancêtres, ceux qui sont morts depuis des siècles ou des millénaires, ont une importance primordiale pour les inspirer (parfois, c’est pour lutter contre, mais dans ce cas, c’est toujours contre la génération précédente, celle qui est en place. A-t-on jamais vu un auteur du XVI ème siècle se rebeller contre Sophocle ?).
    Que seraient devenus Shakespeare, Racine, Giraudoux, Steinbeck, Sartre, Shaw et les autres sans les ancêtres ? Ils auraient perdu une bonne partie de leur inspiration.
    Je ne connais pas bien le sujet, mais ne pourrait-on pas dire qu’assimiler la production de pièces d’auteurs morts depuis des siècles à du ressassement culturel serait du même ordre qu’affirmer que lire Platon, Spinoza et Kierkegaard, c’est perdre son temps alors qu’on pourrait passer directement à Bourdieu, Onfray et Bernard-Henri Levy ? Hein ? Ne pourrait-on pas ?

  3. Question d’altitude! ou de distance ou mieux, de ‘profondeur;’ Vains Dieux sous les mers que nous sommes pendant la trêve des confiseurs!

    La France ressasse sa culture ad infinitum…

    Les vieux n’y cessent de reproduire, avec un détachement subtilement feint, les bons moments de leur enfance scolaire apprise par cœur!

    Ailleurs, surtout sur le nouveau continent, les cultures s’entrechoquent et s’entremêlent dans un coït qui, a défaut de se fondre dans la communication, produit d’éphémères cultures se sublimant en feux follets!

    Ça ne marche pas toujours! Avec Trump, l’Amérique retourne à la grandeur germanique de ses ancêtres teutons dont la blancheur, propre aux fantômes de la nostalgie, le fascine!

    Si l’histoire ne se répète pas comme en France, ici, elle hoquette!

    En bulle hyper claire: L’encombrement des planches des théâtres parisiens par des auteurs défunts depuis des siècles (et appris par cœur en 4e.) n’obstrue-t-il pas l’espace de la reconnaissance nécessaire à la fusion des cultures contemporaines qui, éventuellement, pourrait faciliter la communication (en attendant ‘la communion’) citoyenne?

  4. En voilà un commentaire laconique ! Mais, malgré cela, brouillard ou écran de fumée, il demeure pour moi énigmatique.

  5. Savoir reproduire intégralement, sans donner l’impression de réciter comme une élève de 4e; C’est là, la clef de la réussite dans la ‘Comédie’ que Balzac dit ‘Humaine’ mais qui, vue de loin, reste française, trop française!

  6. Finalement moins sévère qu’à la sortie du théâtre : le temps a fait son œuvre en émoussant l’humeur (tiens, un alexandrin !). Mais assez juste. Avec un peu d’injustice, par omission, pour les personnages secondaires (Clitandre, Martine, surtout), mais c’est, j’en conviens, secondaire.
    A renouveler en 2017 !

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