¿ TAVUSSA ? (29) Une justice indépendante, pour quoi faire ?

Le Syndicat de la Magistrature réclame à cors et à cris l’indépendance de la justice. Et les bonnes âmes des justiciables qui s’ignorent encore entonnent en chœur : « Indépendance de la justice ! Indépendance de la justice ! » Indépendance, indépendance, toujours plus d’indépendance. Mais, pourquoi faire, au fond ? Pour que les juges puissent décider tranquillement et sereinement de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas ? Mais non, bien sûr ! C’est pour décider tranquillement et syndicalement de ce qui leur parait équitable et de ce qui ne le leur parait pas.

Équité, justice, me direz-vous, c’est la même chose. Eh bien, non ! Et c’est là où je vous attendais.

Pour les juges du S.M., oui, c’est la même chose, et en jugeant en équité, ils ont probablement l’impression de faire œuvre de justice. C’est en tout cas ce que leur a appris le procureur Baudot dans son discours de 1974 dont j’avais reproduit ici quelques extraits.  (1)

En tordant un peu leurs attendus comme le leur conseillait Monsieur Baudot, ils veulent compenser les inégalités de la vie. En prenant à l’envers la morale du fabuliste —Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour…— en contredisant le précepte romain (certainement) et même stoïcien (je n’en suis pas sûr) —à chacun selon son dû— en appuyant d’un côté sur le fléau de la grande dame au bandeau, ils sont persuadés de faire le bien. Et peut-être le font-ils, d’ailleurs, mais est-ce ce qu’on le leur demande ? Est-ce à ces petits hommes (et femmes) et à leurs petits préjugés musclés qu’on doit confier la compensation des inégalités ? Doit-on donner à ces gens, qui ont déjà de grands pouvoirs, le pouvoir plus grand encore de façonner la justice selon leur humeur, leur pitié ou leur détestation ?

A quoi sert une justice indépendante si elle est capricieuse ?

L’indépendance seule est un déguisement, à la rigueur un habit de moine.

L’essentiel pour la justice n’est-il pas plutôt d’être impartiale ?

Avec l’impartialité, l’indépendance viendra d’elle-même. (2)

Notes

  • 1-Les extraits cités sont bien trop choquants pour que je les reproduise ici. Mais si vous voulez vraiment les lire une fois de plus, cliquez donc ICI.
  • 2-A lire et écouter les journalistes, j’ai constaté que, quand on aborde un domaine qu’on connait mal, par exemple en ce qui me concerne le Droit ou la Philosophie, on est forcément amené à dire des bêtises. Bon, d’accord ! C’est regrettable et qu’on veuille bien m’excuser. Mais c’est quand même pas une raison pour fermer sa gueule !

12 réflexions sur « ¿ TAVUSSA ? (29) Une justice indépendante, pour quoi faire ? »

  1. Confusion de ma part sur l’auteur de ta citation entre Montaigne et Montesquieu. C’est peut-être le côté laborieux qui m’a trompé, ou alors le fait que les deux noms commencent de la même façon.

  2. Il me semble que, pour une fois, nous parlons du même texte!

    Todorov, Kristeva et d’autres (que j’ai lus) l’attribuent à Montesquieu… Il est vrai que le vieux français me fait aussi d’avantage penser à Montaigne qu’à Montesquieu!

    Comme ils sont nés et ont vécu dans le Bordelais peut-être que Montesquieu – qui aimait fouiller les poubelles de l’antiquité romaine autant dans sa grandeur que dans sa décadence – se serait aussi intéressé à sa Renaissance et a trouvé ‘l’escalade’ de son prédécesseur du XVIe. dans un fond de tonneau.

    L’innovation de Montesquieu, si ta citation est exhaustive (et qu’il n’y manque pas la phrase ultime… hum…), est que le plus intense, pour le philosophe juriste du XVIIIe., c’est LE GENRE HUMAIN! Auquel nous ne saurions, bien sûr, être étrangers, puisque nous sommes tous étrangers les uns aux autres…. Étrange?

  3. Dans cette tirade des « si je savais », pour mieux établir son point, Montaigne utilise le procédé littéraire de la gradation (succession de termes ou d’idées d’intensité croissante : quelque chose d’utile à moi, puis à ma famille, puis à ma patrie). Le coté laborieux de la chose m’a fait comparer cette gradation à une escalade.

  4. Effectivement, il arrive aux héros d’être fatigué…

    « L’escalade de Montaigne… » éclaires-moi? Je ne le savais pas coureur de jupons!

    Je savais qu’il avait escaladé les Pyrénées pour découvrir qu’au delà: mensonge et en deçà: vérité! et je ne sais si c’est après avoir traversé la Garonne qu’il s’est exclamé, « Plaisante justice qu’une rivière borne! » Pascal, – ne t’en dé Blaise -, lui a d’ailleurs fait écho après être passé de la rive droite parisienne à la gauche en empruntant le Pont Neuf pourtant orné de la statue d’Henri IV qui abdiqua la justice Protestante pour la Catholique afin de pouvoir faire son nid à Paris!

  5. Quand je dis « Pas d’accord. Point à la ligne » ce n’est pas le signe d’une tendance dictatoriale, mais seulement un signe de fatigue.

  6. Ce n’est pas que ton blog soit trop éloigné, mais plutôt qu’il soit verrouillé, cadenassé et barricadé de telle sorte qu’il faille montrer patte blanche et se rappeler le Sésame adequat pour y pénétrer. Pour cela, il faut être drôlement motivé.
    A l’inverse, on pourrait prendre l’escalade de Montaigne comme une gradation vers l’impartialité.

  7. Au cas où mon blog vous semblerait trop éloigné, voici ce que Montesquieu a écrit!
    « Si je savois quelque chose qui me soit utile, et qui soit préjudiciable
    à ma famille, je l’éloignerois de mon esprit. Si je savois quelque
    chose utile à ma famille et qui ne le soit pas à ma patrie, je chercherois
    à I’oublier. Si je savois quelque chose utile à ma patrie, et qui
    soit préjudiciable à l’Europe ou bien qui soit utile à l’Europe mais
    préjudiciable au Genre humain, je la regarderois comme un crime’
    (Montesquieu, 1964: œuvre complête)

    Tout ce qui est INFRA Genre Humain est PARTIAL! PERIOD!

  8. Je ne dirais pas, dictatorialement,  » je ne suis pas d’accord, point à la ligne!  »
    Je te ferais remarquer que la conclusion de ta critique en infirme ou invalide les prémisses!

    Pour les solutions… La confiance d’un humain à l’autre… au niveau cosmopolitique ou universel pour éviter les regroupements ou partis pris dangereux que sont famille/patrie, si chères au Maréchal!

    Tant que les gens se regrouperont contre les autres… prendront donc parti, point de justice ‘impartiale’ possible!

    Montesquieu l’avait bien vu comme je le rappelais dans le dernier article scanné que j’ai reproduis, hier, sur mon blog! Clické?

  9. Je ne vois pas trop le désaccord. Oui la loi est la loi, nul n’est censé l’ignorer et se doit de la respecter, sinon il s’expose à être mis en examen, juger et éventuellement puni en application des lois prévues à cet effet. (Je pense au procès en correctionnelle et pas en assise bien sûr). C’est la force de la loi ou de « the rule of law » comme on dit outre-Atlantique. Oui les magistrats sont censés juger en application stricte des lois en vigueur. En principe! Oui ils sont parfois sectaires et s’octroient la liberté d’interprétation des lois, surtout quand ils sont syndiqués à cet effet. Mais, oui les lois peuvent être contestables car elles sont votées par des majorités parlementaires (ou dictatoriales) qui sont elles-mêmes sectaires et peuvent donc être interprétées par la minorité comme « la loi du plus fort » qui n’est pas juste pour le faible. Victor Hugo a beaucoup plaidé sur cette injustice. Alors, quelles solutions possibles si on est pas d’accord avec le système: « repeal and replace », chère à’Donald, ou, mieux, l’anarchie!

  10. Comme d’habitude, pas d’accord, et sur rien.
    Ton commentaire semble dire que
    1) la loi est biaisée car votée par des législateurs nécessairement engagés
    2) l’impartialité n’est pas de ce monde, de plus elle ne permet pas de trancher
    3) de là à conclure que le juge doit se faire sa propre loi, il n’y a qu’une phrase qui manque.

    L’allégorie de la justice a les yeux bandés (symbole d’impartialité : elle ne voit pas, elle ne sait pas qui elle juge, puissant, misérable, de droite, de gauche, elle n’en sait rien). Elle porte une balance pour peser les faits en regard les uns des autres (les faits qui vont dans un sens et les faits qui vont dans l’autre) et elle porte aussi un glaive, non pas pour trancher (ce serait trop facile de jouer sur le sens figuré de ce mot) mais pour punir.
    Pour moi, la justice ne doit pas juger en fonction de ce que le juge croit juste (qu’il a tendance à assimiler à ce qu’il croit équitable), mais en fonction de la loi, la même pour tous et, surtout, la même pour tous les juges. (Combien d’avocats ai-je entendu dire qu’ils allaient faire porter leur affaire vers tel tribunal, réputé plus favorable à la cause qu’ils défendaient de jour-là ?)
    La loi, c’est la loi, comme nul n’est censé l’ignorer. Elle est dure, mais c’est la loi. Ce n’est pas celle du plus fort, du marché, de Murphy, de la prairie ou de la jungle ou des grands nombres, c’est la Loi. Elle est votée par ce qu’il est convenu d’appeler des législateurs, hommes imparfaits, engagés d’un côté, de l’autre ou d’un troisième. Mais, la plupart du temps, du moins c’est ce que je crois, elle est rédigée par des juristes, professeurs, historiens, philosophes… à qui j’accorde un a priori d’honnêteté. Par ailleurs, les articles de loi sont examinés au regard de la Constitution. Alors, bien sûr, on peut dire comme toi que la Constitution est tordue parce que la Constituante était politisée. Mais alors, on n’en sort jamais. A qui s’en remettre ? A personne ? Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Faut-il se passer de Constitution ? Faut-il se passer de lois ? S’en remettre au bon sens ? Mais de qui ? Des pauvres, des riches, des patrons, des ouvriers, des syndicalistes, des prêtres, des universitaires … ? Allons donc ! Il n’y a pas plus biaisés que tous ceux là.
    On ne peut s’en remettre qu’aux juges, et à la condition qu’eux-mêmes s’en remettent à la loi, avec un bandeau sur les yeux et une balance non biaisée.
    Ce n’est pas l’impression que donne le Syndicat de la Magistrature, qui a laissé tomber le bandeau depuis longtemps
    La loi est imparfaite ? Modifions là, changeons là, mais n’en chargeons pas les juges.

  11. Impartialité… pas de parti pris…

    Or les législateurs, ceux qui pensent et écrivent les lois, membres de l’Assemblée nationale en France, du Congrès aux États-Unis, sont, pour la plupart, membres de partis dont ils ont pris la carte! Au départ, ceux qui font partie des assemblées constituantes, rédigeant les constitutions, sont souvent aussi membres de partis politiques…

    La justice aveugle, certes, tient quand même une balance… il y a donc là, l’idée de contre-poids portés par des contre-arguments… À la partie adverse (elle aussi de parti pris) d’en faire le tour et de bien les pondérer… Techniquement, le juge n’aurait plus qu’à dire où se situe l’aiguille de sa balance… en toute indépendance!

    Aux États-Unis dont on dit que le système politique est imprégné du principe de séparation des 3 pouvoirs (éxécutif, législatif et juridique) tel que voulu par Montesquieu, les membres de la cour suprême sont ‘nommés’ par le Président qui me semble toujours avoir pris parti, pour se faire élire, l’Indépendance étant un parti autre que les Républicains et les Démocrates…

    L’impartialité me semble être le propre des anges qui ne sont pas encore nés faute d’avoir trop hésité (l’impartialité interdit de trancher) entre un sexe ou l’autre!

  12. C’est le problème éternel de la loi d’une part, qui se veut équitable, juste et surtout nécessaire à la cohésion de la société, et d’autre part de la justice qui est interprétée par des hommes et des femmes qui revêtent eux-mêmes toute la palette des qualités, faiblesses et tares du genre humain: grandeur d’âme, honnêteté, droiture, compassion, ambition, bassesse, corruption, vilénie , etc, etc…
    Bon! Il y aurait tant à dire à partir d’exemples réellement vécus ou de fictions imaginées par des auteurs brillants de romans et de théâtre, que je n’en citerais que deux ici:
    1/ « La tête des autres », grande satyre de la justice imaginée par Marcel Aymé.
    2/ Cet adage d’outre-Atlantique: « A good lawyer knows the law, a great lawyer knows the judge ».
    PS: il y a une phrase qui m’agace au plus au point chaque fois qu’une personne, publique ou vulgum pecus, la prononce à la télé: « j’ai confiance dans la justice de mon pays ». Ferait mieux d’se taire et d’attendre son jugement!

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