Les nouvelles aventures de William Shakespeare (6)

Durant toute sa carrière, le barde de Stratford fut accusé de faire écrire ses pièces par quelqu’un d’autre. Plus de quatre cents ans après sa mort, perdurent encore les engueulades mémorables entre érudits de tous poils sur le sujet de savoir qui a vraiment écrit Macbeth, Hamlet, Jules César et tout le toutim. On ne compte plus les magazines littéraires, les thèses universitaires et même les tabloïdes britanniques farcis des envolées lyriques de ceux qui soutiennent que c’est Francis Bacon qui est l’auteur du Songe d’une nuit d’été, des répliques méprisantes des tenants du VIème comte de Derby, des diatribes interminables des supporters du Comte d’Oxford, et des quolibets cinglants des adeptes de Marlowe. Sans parler des exclamations de ceux qui jurent que c’est la reine elle-même, Elizabeth 1ère, qui a écrit « La tragédie de Romeo et Juliette« . Assertions ridicules, prétentions extravagantes, mensonges éhontés que tout cela ! Comment voulez-vous qu’une Reine, aussi vierge soit-elle, ou un philosophe, aussi cognitivement biaisé que Francis Bacon, ou encore un comte de Derby ou même d’Oxford, aristocrates probablement dépravés et incultes comme la tradition l’exige, comment voulez-vous que l’une de ces personnes ait pu écrire ce qui suit et qui mit la larme à l’œil de la terre entière et de ses environs :

Wilt thou be gone? it is not yet near day: 
It was the nightingale, and not the lark, 
That pierced the fearful hollow of thine ear;
Nightly she sings on yon pomegranate-tree: 
Believe me, love, it was the nightingale. (1)

Non ! Seulement Christopher Marlowe aurait pu écrire cette merveille, n’eut-il été complètement défunt au moment des faits.

Car je peux bien vous le dire aujourd’hui : effectivement, ce n’est pas William Shakespeare qui est l’auteur des œuvres de William Shakespeare, mais quelqu’un d’autre qui se faisait appeler William Shakespeare. Etonnant, non ? Je suis absolument navré de devoir ébranler avec ce coup de tonnerre des certitudes mentales qui ont fondé les principes moraux de tant d’entre vous, désolé de mettre ainsi à bas des édifices intellectuels péniblement érigés au cours de vos longues années d’échec scolaire, mais un fait est un fait, et je ne sentais pas le droit de le garder pour moi tout seul.

  • Note 1
    Veux-tu partir ? Ce n’est pas encore le jour.
    C’était le rossignol, non l’alouette,
    Qui perçait le tympan craintif de ton oreille.
    Il chante chaque nuit sous ce grenadier.
    Crois-moi, mon bien-aimé, c’était le rossignol.

12 réflexions sur « Les nouvelles aventures de William Shakespeare (6) »

  1. Et j’ajouterai encore, citant un grand philosophe, Jean Gabin, qui chantait à l’âge que j’ai maintenant: « Et maintenant je sais, je sais qu’on ne sait jamais! » Pas un sophiste celui-là à l’automne de sa vie.

  2. Ce qui n’aide pas à identifier le grand Will comme étant lui-même, c’est le fait qu’il existe 76 versions diverses et variées de sa signature!
    Shakespeare, oui, mais aussi Shakspear, Shakespeer… Pourtant, une personne sqit comment elle s’appelle, et comment s’épelle son nom, non?
    Alors… To be the Bard, or not to be the Bard, that is the question!

  3. J’ajouterai, car j’ai été empêché de terminer mon email précédent, que je doute entre autres choses de la connaissance du processus de la connaissance, autrement dit de la cognition, d’où les biais possibles. En fait, je doute de tout! même de ce que j’écris. Voilà ma vérité, elle simplifie ma vie, elle-même très douteuse.

  4. « les maths ont été inventées pour s’auto-confirmer et n’ont pas de liens avec quoi que ce soit qui leur est extérieur »

    Si « les mathématiques n’ont pas de lien avec quoi que ce soit qui leur est extérieur » signifie qu’elles sont une science abstraite, je n’ai pas d’observation à formuler. Par contre, pour quelqu’un qui sait qu’il ne sait rien, affirmer que les maths ont été inventées pour « s’auto-confirmer » me parait à moi aussi hasardeux que péremptoire et, de plus, peu compréhensible. Cette sentence demanderait sans doute un peu d’aide à la compréhension.

  5. Oui, bien sûr, mais j’ai lu ça quelque part : « Aristote récupéré par le Christianisme, (est un des) propagandistes des tyrans qui ont suivi ce siècle de lumière (celui des Sophistes, les seuls philosophes grecs). Alors, est-il bien prudent de le citer ?

  6. OK! Une fois encore dans le JDC, je citerai Aristote: « L’ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit ». Où suis-je là dedans? moi qui doute de tout et m’efforce de réfléchir!

  7. « Right up in my street! » J’ignorais cette expression de Caroline (‘going south!’).

    Cela veut-il dire que je dois me livrer à une « up hill battle? »

    Effectivement si tu n’associes que la philo aux biais cognitifs on retombe sur notre vieux champ de bataille.

    Par contre, si tu y adjoins toute forme de connaissance (religieuse, déesse raison, scientifique – mathématique [les maths ont été inventées pour s’auto-confirmer et n’ont pas de liens avec quoi que ce soit qui leur est extérieur] à ton affirmation sélective… la paix éphémère et fondée sur un mal entendu (comme les guerres d’ailleurs) nous semblera durable et équitable! (fondée sur le mal entendu d’une nouvelle entente!)

    Quant à Mark Twain, j’avais bien compris! Mais si la seule vérité est que nous devons passer notre vie sur cette terre (même si quelques cosmonautes s’envoient en l’air pour quelques mois et si des auteurs de science fiction imaginent que nous puissions vivre éternellement et sur d’autres planètes naturelles ou artificielles) pour ‘bien passer notre vie sur terre’ nous ne pouvons pas faire l’économie d’autres hypothèses. Conjectures sur lesquelles les citoyens de la ‘Terre Patrie’ devraient s’entendre pour les considérer au moins comme des ‘vérités’ expérimentales… Mais là, un consensus universel sera requis sinon certains considérerons qu’il s’agit de propos ‘right up in their street!’ et ce sera pour les uns une ‘up hill battle’ contre les autres…
    Back to the woods, Robin!

  8. René-Jean, le pléonasme, ou disons la redondance, que je voyais n’était pas entre cognition et biais, mais entre philosophe et cognitivement biaisé. Je pense aussi que la connaissance peut-être parfaitement biaisée. Il n’y a pas là oxymore, mais plutôt pléonasme. Quant à ma référence à Mark Twain, c’est justement parce que la vérité, s’agissant en l’occurrence de qui est véritablement Shakespeare, ou l’expression « ma vérité » par exemple, tout comme la réalité, est contestable et donc qu’on peut en faire l’économie. J’aurais pensé que ces propos seraient « right up your street » comme ils disent ici (in South Carolina).

  9. Merci Jim! Tu m’as remis sur mes rails!

    Tout savoir, contraint par les limites de son détenteur est toujours un déni de réalité (celle-ci étant inaccessible à l’être humain!) c’est un ‘narrative,’ une ‘histoire,’ un ‘roman’ auquel ses lecteurs croient éventuellement!

    Le propos de Twain ne me semble pas cohérent avec le pléonasme, connaissance = biais? À moins qu’effectivement la vérité du genre ‘Nous sommes sur cette terre pour une durée limitée’ (CDL) soit l’une de celles qu’il considère comme très rares! Personnellement, je n’en vois pas d’autres! Il nous faut donc nous doter d’une économie et d’une politique qui soient cohérentes avec cette unique certitude.
    C’est mon obsession de vieillard qui voit la limite de cette durée se dessiner clairement à l’horizon!

  10. « …un philosophe, aussi cognitivement biaisé que Francis Bacon, »

    Ne s’agit-il pas là d’un parfait oxymore?

    Les philosophes (sans s’en tenir à Francis Bacon) seraient-ils les seuls (je pense aux savants et experts…) à pondre des œuvres (narratives) de biais affectées?

  11. La vérité? C’est encore Mark Twain qui est de bon conseil: « Truth is the most valuable thing we have. Let us économise it ».

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *