Dunkerque – Critique aisée 96

Dunkerque
Christopher Nolan – 2017

Voici Dunkerque. C’est un film. C’est Christopher Nolan qui nous l’apporte.

Comment classer Dunkerque (faut-il classer Dunkerque ?) dans l’œuvre de Nolan ?
Je n’ai vu que deux autres films de lui (qui je crois en a fait 6). Ils m’ont plutôt ennuyé. Il y avait le compliqué Inception avec triple mise en abime et mal de tête assuré, je rêve que je rêve que je rêve que je …
Et il y a eu le prétentieux, l’interminable Interstellar, avec sa philosophie de bazar bio-bobo : seul l’amour télépathique sauvera la planète…

Heureusement, Dunkerque ne ressemble à aucun de ces deux-là. C’est un film d’été, mais bien que ça se passe souvent sur la plage, ce n’est pas un film de vacances. C’est un film de guerre.

Fin mai 1940. Bousculée par le Blitzkrieg, l’armée anglaise et une partie de l’armée française fuient vers Dunkerque où ils se font encercler par les Allemands. La Royal Navy entreprend l’évacuation de 330.000 soldats britanniques sous les bombardements. Malgré l’intervention de la RAF contre les avions de la Luftwaffe, de nombreux navires de guerre sont coulés corps et âmes et le gouvernement de Winston Churchill fait appel à la navigation de plaisance pour contribuer à l’évacuation.

Comment classer Dunkerque dans les films de guerre ?
Le film de guerre. C’est un genre intéressant ça, le film de guerre. Et dans le genre, on a tout vu :

-le film historique comme
« Tora Tora Tora » (Richard Fleischer-1970) ou « Paris brûle-t-il » (René Clément-1966)
-le film sobre comme
« Le pont » (Bernard Wicki-1959) ou « La 317ème section » (Pierre Schoendoerferr-1965)
-le film grandiose comme
« Il faut sauver le soldat Ryan » (Steven Spielberg-1998) ou « Full metal jacket » (Stanley Kubrick-1987)
-le film comique comme
« Opération jupons » (Blake Edwards-1959) ou « Qu’est-ce que t’as fait à la guerre, Papa ? » (Blake Edwards-1966)
-le film de propagande comme
« Les tigres volants » (David Miller-1942) ou « Les bérets verts » (Ray Kellog-1968)
-le film à la con comme
« Pearl Harbor » (Michael Bay-2001) ou « Rambo 3 ou 4 ou 5 » (Peter MacDonald-1988…)
-le film patriotique comme
« La bataille d’Angleterre » (Guy Hamilton-1969) ou « La bataille de Midway » (Jack Smight-1976)
-l’épopée personnelle comme
« Lawrence d’Arabie » (David Lean-1962) ou « Sergent York » (Howard Hawks-1941)
-le film opéra comme
« Apocalypse now » (Francis Ford Coppola-1979) ou « La ligne rouge » (Terrence Malick-1998)
Le film d’anticipation comme
« La guerre des étoiles » (Georges Lucas- 1977) ou « Starship troopers » (Paul Verhoeven-1997)
sans parler des films de résistance (La bataille du rail, Passage to Marseille), des films de prisonniers (Le pont de la rivière Kwaï, Stalag 17), des films d’évasion (La grande illusion, La grande évasion), des films…, des films…, des films…La guerre, c’est inépuisable. Et ce n’est pas fini.

Le Dunkerque de Nolan se situe quelque part juste au bord de trois catégories sans entrer vraiment dans aucune d’entre elles : film grandiose, film patriotique et film historique.

Le film est certes grandiose. Grandiose sur le plan de la réalisation. Les actions de guerre, en particulier les actions aériennes ont été filmées, à mon avis, comme jamais. On passe de la caméra subjective (le spectateur voit ce que voit le pilote) à la caméra objective pour des plans d’ensemble « Spitfire/ Messerschmitts/ destroyers/ naufragés » vraiment stupéfiants ou des crashs extrêmement réalistes. Le même procédé est utilisé avec beaucoup d’efficacité pour les actions marines, vues alternativement de l’intérieur et de l’extérieur.

Le film est-il intense ? Oui et non. Chaque scène l’est en elle-même et on est pris par le réalisme (pour autant que nous puissions en juger, nous qui n’avons jamais vécu ça) des bombardements et des naufrages. Mais il n’y a pas la moindre tension sur l’histoire elle-même, et pas uniquement parce qu’on en connait la fin. On ne s’attache que très peu aux différents personnages. Je ne pense pas que cela soit dû au jeu très sobre des différents acteurs, excellents, à part Kenneth Branagh qui cabotine un peu sur sa jetée sous sa casquette de commandant.

Le film est patriotique, c’est évident, (Nolan a la double nationalité US et britannique), et ça n’est pas pour me déplaire, bien sûr. D’une manière pas trop stéréotypée ni trop insistante, on y exalte le courage des soldats et des officiers, et surtout celui des plaisanciers venus à la rescousse jusque sur les plages de Dunkerque. Le film se termine d’ailleurs sur un extrait du fameux et magnifique discours de Winston Churchill « …nous défendrons notre Île, peu importe ce qu’il en coûtera, nous nous battrons sur les plages, nous nous battrons sur les terrains de débarquement, nous nous battrons dans les champs et dans les rues, nous nous battrons dans les collines ; nous ne nous rendrons jamais… »

Le film est-il historique ? Non, et je ne crois pas qu’il cherche à l’être. Il ne s’intéresse pas à ce qui précède ou ce qui va suivre l’évacuation, il n’évoque pas les raisons pour lesquelles l’armée allemande se contente d’assiéger la poche de Dunkerque sans y pénétrer pour détruire définitivement l’armée anglaise, il ne dit pas pourquoi le gouvernement britannique choisit d’évacuer plutôt que de tenter une contre-attaque avec l’armée française. En fait, le film ne montre que l’anecdote, le spectaculaire, l’impressionnant. Et il le fait plutôt bien. On peut aller le voir.

On peut aussi revoir Week-end à Zuydcoote (1964), l’un des deux bons films d’Henri Verneuil, d’après le roman de Robert Merle (Prix Goncourt 1949). La même chose. Vue du coté français.

 

4 réflexions sur « Dunkerque – Critique aisée 96 »

  1. J’ai vu Dunkirk. Il ne m’a pas fallu longtemps pour que mon opinion se fasse et se confirme tout au long du film: c’est un navet et trompeur en plus. Éléments de sa nullité: le scénario, le découpage, l’anarchie dans la retenue des quelques scènes sensées représenter à elles seules dans une dramaturgie caricaturale, bourrée de clichés, ce qu’aurait été l’enfer de cette grande épopée, le tout pas toujours bien filmé d’ailleurs. Ce film n’a suscité en moi aucune émotion et n’a pas été capable de me donner ce que Houellebeck appellerait « la sensation de contact » avec ce réalisateur Nolan qui n’est visiblement pas dans son élément. J’ai vu beaucoup de films de guerre qui m’ont ému et donné à réfléchir, que se soient les anciens en N&B (notamment les films anglais des années 50 avec les acteurs de service permanent comme Jack Hawkins ou Kenneth Moore – au top « La mer cruelle ») ou des plus récents américains sur la guerre du Vietnam par exemple. Le Dunkirk de Nolan n’a aucun intérêt! Je le dit parce que j’y étais, et même pendant quarante ans. Ce fut l’expérience la plus marquante de la vie de mon père, officier de liaison dans l’armée anglaise qui, à partir du 10 Mai 1940 et le déclenchement de l’offensive allemande, a vécu la retraite de Belgique qui s’est terminée sur la plage de Dunkerque et l’attente angoissante de plusieurs jours avant de pouvoir embarquer sur un navire salutaire. Je l’ai souvent entendu raconter sobrement son épopée courageuse, je détiens ses souvenirs écrits dés 1941 sur un peu plus d’une centaine de pages, et je dois dire que je n’y trouve rien du Dunkirk de Nolan. C’est d’abord le titre de ce film qui est inapproprié!

  2. En général, ton dernier mot, est: « moi, héros, suis fatigué, on arrête, ‘Period!' »

    Les Rabbins sont les maîtres du commentaire! Plus d’un a défini le judaïsme comme ‘religion du commentaire… ‘ et c’est, je crois, ce qui lui assure sa pérennité, que dis-je, la certitude de son éternité. Certes, chaque Rabbin aura son dernier mot, juste avant son dernier souffle, mais d’autres, lui succédant, poursuivront, jusqu’aux calendes grecques, l’enchevêtrement perpétuel des commentaires…

    et ceci (ce qui précède) n’est pas tout à fait étranger à cela… (ce qui suit)!

    Un commentaire, comme une description, n’est jamais identique à son objet.
    Aucune description n’est ‘juste’ ou ‘isomorphe’ (ce mot devrait plaire à un ancien des Ponts…) à ce qu’elle prétend décrire, même si elle est signée du rédacteur en chef du JdC!

    Comme on dit bêtement, le mot ‘poule’ ne picore pas et, hélas, ne pond pas d’œufs!

    C’est, comme le disaient les philosophes de la Démocratie athénienne, les Sophistes dont Socrate est le dernier (les philosophes suivants, à commencer par Aristote et peut-être même Platon, sont les penseurs de la dictature, ou de la tyrannie dont beaucoup se revendiquent encore… hum!), donc… comme disaient les Sophistes (que nos maîtres à penser – comme le neveu de Jules Ferry – persistent à dénigrer), il n’y a que ‘discours,’ ‘paroles… paroles,’ ‘propos à propos de ce dont on parle.’ Au mieux ‘informations sur ce sur quoi on se prétend avoir été ‘formé’ (formaté) pour ‘en’ [in] parler avec autorité).

    Les éjaculés de la cuisse de Jupiter, prétendant être génétiquement doués pour appréhender ‘objectivement’ ou ‘scientifiquement’ ‘la réalité’ ou ‘vérité’ prétendent que les discours des autres, surtout ceux qui ne coïncident pas avec les leurs, relèvent de la ‘Doxa,’ de la ‘Vulgate,’ du ‘fast food’ des modèles ou format du ‘prêt à penser.’

    Les Marxistes (mais pas le jeune Marx vu par Paul Ricœur) ont qualifié d’Idéologies, les propos des bourgeois (sans B mais avec culot[e]) visant à culpabiliser les teneurs de discours ou de propos contestant l’origine de leur fortune, les grands voleurs, comme on sait, emprisonnant les petits.

    Ton Camarade des Deux Magots, Jean Paul, néo-marxiste et néo bien d’autres choses (selon M. Onfray), tout en écrasant son mégot, a qualifié de propos issu de la ‘fausse conscience’ les descriptions bourgeoises du fonctionnement de l’économie. Discours évoquant et invoquant la main du Dieu invisible d’Adam Smith (je sais que c’est la main qui était invisible, selon Smith.. mais j’amalgame le Corps divin à sa main!).

    Évidemment, dans cette drôle de guerre des discours ou des histoires que l’on raconte aux autres et à soi-même pour se justifier, les néo-libéraux et autres sauvages capitalistes opposent leur pragmatisme a-idéologique aux idéologies utopistes et romantiques des gauchistes partisans d’alter-mondialisations…

    Bref, l’homme ne tient que des propos sur les choses dont il ne sait pas grand chose, voir ‘rien’ pour revenir aux dernier des sages, Socrate.

    Ces ‘histoires’ (que l’on se racontent et que l’on raconte aux autres pour mieux s’en persuader) me semblent coïncider avec ce que les Américains appellent (je crois depuis l’essor du Protestantisme) ‘the narrative…’ que tu qualifies, lorsque j’utilise ce terme, d »anglicisme branché’ (histoire de faire de moi ‘un suiveux de modes’ pensé par les designers du prêt à penser… )

    « Branché, » je m’efforce de ne pas l’être, (l’autonomie et l’originalité étant mes deux mamelles – avec l’âge et l’en-bon-point, elles se gonflent!). À la rigueur, je suis ‘électrocuté!’ La chaise me tend ses bras! Et le Père La Chaise hérisse mes poils!

    Certes, c’est en lisant les quotidiens et surtout en regardant la télé américaine que j’ai lu et entendu ce terme. La façon dont je l’ai vu utilisé me permet de généralsiser en affirmant que pour eux, La Genèse que l’on retrouve dans les trois Religions du Livre constitue a ‘Narrative’ (le religieux semble enfin en perte de vitesse aux États-Unis). mais pour les disciples de Thomas Kuhn, L’évolution de Darwin est aussi ‘a narrative’ comme l’est le relativisme d’Albert! Chaque parti, voir chaque personnage politique a son ‘narrative.’ Depuis toujours les journalistes racontent des ‘stories.’ Sur le pont de Brooklin, plus personne n’attend Pirandello et ses acteurs avec, à chacun leur vérité.!

    Pour moi, chaque être humain a droit à sa perception et il doit y croire un peu pour agir et survivre. Mais en aucun cas, elle ne transcende celle des autres…

    Je crois que c’est le sémiologue et mathématicien (donc sérieux celui-là) américain de la première partie du XXe Siècle, Charles Sanders Peirce qui, pour moi, a le mieux perçu et décrit le phénomène qu’il rapport dans son ‘Narrative’ à lui, sa théorie, sa conjecture… Dans tout système descriptif, il y a au moins trois pôles. L’observateur, un être humain qui vit sur Terre, un phénomène observé (Nolan et ses films) et, la partie oublié, un communauté d’interprétation composé d’autres êtres vivants qui veillent à faire respecter (au travers de rapports de coerséduction) leur système d’encryptage et de décryptage. Pour Charles Sanders Pierce, décrire un phénomène c’est d’abord et essentiellement renforcer et appliquer le lien qu’entretient le descripteur-observateur et sa communauté de décryptage qui est aussi sa communauté d’appartenance ou d’identification. Ensuite, ne peuvent juger de la pertinence de ce qui est symboliquement décrit avec ‘la nature, le physique, la réalité’ de ce qui est décrit que les membres dominants de la communauté d’interprétation et d’appartenance.

    Ce que j’ai voulu dire hier était que ta description des œuvres de Nolan révélait plus les valeurs de ta communauté d’interprétation que je vois, dans ma ‘narrative’ à moi comme Français de droite conservatrice, que ce que sont les œuvres de Nolan qu’aucun critique, Wikipedia ou autre, ne pourra appréhender en dehors de sa propre narrative, narrative que tu as été prompt a ridiculiser avec talent dans ton contre commentaire de ce matin.

    Ceci, bien sûr n’est que ma ‘narrative’ à moi qui a eu à rendre compte de mes perceptions à certains membres de la communauté des universitaires se targuant d’étudier le fonctionnement de la communication humaine… là encore, il n’y a qu’idéologies ou ‘Vox Populi,’ le peuple étant parfois limité à une personne!

  3. Le « narrative » de Wikipedia sur l’œuvre de Nolan me fait penser à ceci :
    On peut dire d’un objet qu’il se situe dans un plan vertical, qu’il est limité par une forme géométrique généralement rectangulaire, qu’il est équipé de deux ou plusieurs dispositifs disposés selon un axe vertical qui, tout à la fois, le soutiennent dans l’espace et lui permettent d’effectuer des mouvements de révolution autour de cet axe, qu’il est généralement muni d’un autre dispositif rétractable dont le but est de le rendre solidaire de son plan vertical d’origine ou de l’en libérer.
    On peut dire également que ce même objet est en soi un dispositif destiné à assurer selon les besoins de l’homo sapiens l’intimité dans un espace restreint ou la communication entre deux espaces généralement habitables, qu’il permet également à l’homme dominant l’enfermement, la claustration ou la captivité de l’homme dominé.
    On peut dire aussi que c’est une porte.
    Je ne nie pas que Nolan ait les préoccupations philosophiques énumérées par le Wiki-zélote qui a écrit l’article sur lui, je ne nie pas qu’il ait fourré les deux autres films de lui que j’ai vus de ces éléments métafictifs (!), de perspectives solipsistes (le zélote chercherait-il a épater le bourgeois ?), je dis que j’ai trouvé qu’il l’avait fait de façon racoleuse, ennuyeuse et cliché (je parle d’Interstellar) et à peu près aussi prétentieuse que l’exégèse de Wikipedia. Une autre philosophie de bazar angéliste biocompatible était mise en avant dans Avatar, mais avec beaucoup plus de talent.
    Je n’exprime pas ma narrative (quel pourrait être le mot français correct pour cet anglicisme branché ?) de la philo de Nolan, j’expose une critique de la façon dont il l’a présentée.
    Je ne fais pas un essai sur l’œuvre de Nolan, je dis si j’ai aimé Dunkerque ou pas. Et je dis : plutôt, oui. Et je rappelle au préalable en quelques mots ce que j’avais pensé d’Interstellar (Critique aisée n°41, novembre 2014)

    Le but de ce commentaire n’est pas de t’apporter une contradiction systématique, mais d’avoir le dernier mot.

  4. Philippe’s narrative on Noran’s philosophy: « Je n’ai vu que deux autres films de lui (qui je crois en a fait 6). Ils m’ont plutôt ennuyé. Il y avait le compliqué Inception avec triple mise en abime et mal de tête assuré, je rêve que je rêve que je rêve que je …
    Et il y a eu le prétentieux, l’interminable Interstellar, avec sa philosophie de bazar bio-bobo : seul l’amour télépathique sauvera la planète… »

    Wikipedia’s narrative about Noran’s philosophy: « Nourrie de préoccupations philosophiques, sociologiques ou éthiques, son œuvre explore la moralité humaine, la construction du temps, et la malléabilité de la mémoire et de l’identité personnelle. Elle se singularise par la présence d’éléments métafictifs, de changements temporels, de perspectives solipsistes, de narrations non-linéaires, d’effets spéciaux pratiques et de relations analogues entre le langage visuel et les éléments narratifs. »

    le but de cette comparaison n’est pas de suggérer insidieusement et méchamment que l’un a tout faux et l’autre tout bon mais de suggérer que chacun voit midi à sa porte et que lorsque chacun décrit sa vérité, il est beaucoup plus fidèle à ce qu’il a derrière la tête (fruit de 75 ans de pérégrinations sur cette planète) qu’à ce qu’il s’est mis sous les yeux!

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