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Le cliché de Jean Renoir

(…) Mais le dieu le mieux retranché dans sa forteresse, l’ennemi numéro un, c’est le cliché. Par cliché, j’entends une image, une opinion, une pensée qui s’est sournoisement substituée à la réalité. Il y a des clichés qui durent depuis des centaines d’années. En voici quelques-uns : le bon vieillard, l’amour vainqueur de tous les obstacles, le fidèle serviteur, la bravoure militaire, le sens de l’humour des Anglais, les méridionaux vêtus de couleurs vives, la fin justifie les moyens.

Or, la vie nous apprend qu’il y a de méchants vieillards, que l’amour est souvent vaincu, que les serviteurs ne sont toujours fidèles, qu’il y a des militaires parfaitement lâches, qu’il y a des Anglais dénués de tout sens de l’humour, que la plupart des méridionaux s’habillent en noir, qu’il n’y a pas de fin qui justifie l’assassinat. J’ajoute que les jeunes premières de cinéma blondes et parfumées ne représentent que de loin les jeunes premières de la vie. Pour obéir au cliché on leur colle des perruques blondes bouclées. J’aimerais penser que cette utilisation du cliché ne trompe personne. Mais non, nourri de mensonges, le public tient à ses habitudes et se complait dans la fausseté d’un monde qu’on lui a fabriqué.

Jean Renoir – Ma vie et mes films

 

Et si on figeait les syntagmes ! Critique aisée 22

Avant, je disais « cliché » ou bien « lieu commun ». Oui mais ça, c’était avant, avant qu’on ne m’apprenne cette jolie locution de syntagme figé. La définition du syntagme figé n’est pas facile à donner sans être pédant ou même simplement ennuyeux. Aussi, j’ai écrit cette petite aventure, qui en comporte 135.
Si, au bout de quelques lignes, vous avez compris ce que veut dire syntagme figé, il est inutile que vous lisiez l’histoire jusqu’au bout car elle ne présente aucun intérêt.

« Nous arrivâmes dès potron-minet dans la capitale mystérieuse de ce pays plein de contrastes au climat toujours enchanteur. Frais et dispos, et plein d’un enthousiasme juvénile, nous prîmes aussitôt nos cliques et nos claques pour rejoindre le guide expérimenté qui nous avait été recommandé par un ami sûr. Sous un soleil de plomb, nous dûmes traverser des embouteillages monstres dans des faubourgs mal famés.
Notre mentor était en fait un jeune godelureau aux yeux bleu acier, au regard fier et à la mâchoire volontaire. Son visage buriné contredisait sa frêle constitution.
En quelques mots bien sentis, il nous apprit que nous allions entreprendre, sous son indiscutable autorité, un voyage périlleux, peut être même un voyage sans retour, à travers des jungles impénétrables à la végétation luxurianterodent le tigre cruel et le merle moqueur. D’un air lugubre, il nous annonça aussi que nous allions nous enfoncer au cœur de vallées profondes, franchir des précipices vertigineux sur des ponts de fortune, entourés de sommets inaccessibles aux cimes enneigées. Il ajouta que nous allions certainement rencontrer un temps de chien avec des froids de canard et des chaleurs extrêmes entrecoupées de pluies battantes. Il serait possible que de temps en temps nous puissions prendre un repos bien mérité dans une modeste demeure où nous serions accueillis comme des rois par des paysans taciturnes mais gagnant à être connus. D’un air entendu, notre cicérone nous précisa que, pour cela, il nous faudrait une chance de cocus. Nous aurions alors une occasion inespérée de découvrir les traditions séculaires, les coutumes ancestrales, les rites étranges et l’hospitalité légendaire de ces peuplades primitives. Toutefois, il conviendrait de ne pas abuser de leur patience et de conserver en toute circonstance un calme olympien et une attitude irréprochable. En effet, nous dit-il, il était arrivé au cours d’une expédition précédente qu’un jeune crétin, de surcroit célibataire endurci, du type même du dragueur de supermarché, indispose un vieux con du coin par une regrettable erreur de comportement. Cet âne bâté eut en effet un geste déplacé envers l’une des jeunes filles en fleur du village. Accouru en hâte aux cris d’orfraie de la vierge effarouchée et témoin des honteuses pratiques du grossier personnage, le vieux con rameuta la vile populace qui accourut en nombre et remplit la place comme une mer démontée. Alors, les événements se précipitèrent et les indigènes entamèrent une ronde effrénée dans un cercle infernal. Ce n’est qu’avec l’intervention musclée de notre guide professionnel et des quelques uns de ses compagnons d’infortune que pût se faire le retour au calme après qu’ils  eurent  infligé une sévère défaite aux farouches assaillants. Il n’y avait cependant pas l’ombre d’un doute qu’ils l’avaient échappé belle et que les nobles étrangers ne seraient plus en odeur de sainteté dans ce coin perdu, au milieu de nulle part.
Trêve de plaisanteries, nous dit notre guide, il est temps de revenir à nos moutons, et de partir à l’aventure.
Bêtes et disciplinés, nous saisîmes nos bâtons de pèlerins et notre courage à deux mains et nous partîmes d’un bon pas vers ces horizons lointains qui nous tendaient les bras dans la lumière crépusculaire d’un soleil déclinant.
À la campagne riante succéda rapidement le désert aride dont la traversée fut d’un ennui mortel. Au bout d’une petite heure, nous eûmes l’estomac dans les talons et dûmes faire une petite halte pour un repas frugal et quelques boissons fraîches. A cette occasion, nous pûmes constater que notre guide avait plutôt le gosier en pente, car il s’accorda de larges rasades du beaujolais nouveau dont vous me direz des nouvelles et que nous réservions pour les grandes occasions et pour la bonne cause. Personnellement, j’estime que la seule attitude responsable vis à vis de l’alcoolisme mondain est la tolérance zéro, sinon, selon les milieux bien informés, c’est la mécanique implacable de la pente savonneuse dont seule une spirale vertueuse peut vous faire sortir.
Quant tout fut consommé, il était trop tard pour poursuivre notre route, et nous dûmes dresser un campement de fortune au milieu de cette contrée hostile.
Ce fut pour nous l’occasion inespérée de pouvoir soigner la fièvre de cheval qui menaçait de nous terrasser si nous ne prenions pas sans délai toutes les mesures adéquates que les circonstances exigeaient.
De façon évidente, la première de ces mesures d’urgence consisterait, dès l’aurore, à regagner nos pénates en rebroussant chemin pour regagner chacun son chez-soi, sans plus tarder.
Aux premiers rayons du soleil, nous annonçâmes notre décision unanime et, pour justifier notre geste inconsidéré, nous prîmes comme prétexte fallacieux celui d’affaires urgentes nous rappelant au pays natal.
Notre guide en fit illico une jaunisse carabinée.

Fin de tout ou Fin de non recevoir