Parfois, écrire, c’est construire quelque chose, un ouvrage d’art par exemple, comme un pont sur l’eau trouble. Un pont qu’il faudra prévoir, entièrement, sinon il ne vaudra rien, il ne tiendra pas, il s’effondrera de lui-même.
Il faudra d’abord reconnaître le terrain sur lequel il sera fondé. Rocheux, dur, net, ou bien vague, sablonneux, imprécis.
Ensuite bien connaitre ses deux rives, son début, sa fin.
Etre familier du paysage dans lequel il s’inscrira, peut-être pour toujours.
Ensuite, imaginer sa forme. Sera-t-il suspendu, élégant, massif, ou même virtuel ? Sera-t-il fait de câbles et de cordes légères, de bois grossier, de chaudes briques, de lourdes pierres ou de froid métal ?
Et puis, les fondations. C’est sur elles que reposeront tout le poids de l’ouvrage. Elles seront définitives. Une fois dessinées et construites, on n’y pourra plus rien, elles seront immuables.
Et puis viendront les piles, prolongations des fondations. Elles, elles admettront quelques variations, quelques modifications pendant encore un temps, jusqu’à ce que vienne le tablier, la chaussée, le but de l’ouvrage, celui que les voyageurs du futur emprunteront pour passer d’une rive à l’autre, d’une heure à l’autre, sans vraiment se douter de ce sur quoi ils auront passé un moment de leur vie.
Mais, plus souvent, c’est comme un château sur la plage : le premier jet de sable donne la première forme, presque due à la chance, qui donne à son tour le ton général. Mais c’est au hasard des pelletées suivantes, selon la façon dont elles tombent sur la première, dont elles la recouvrent ou la prolongent, ou dont quelques fois elles tombent à côté, qu’après un peu de retapage, de polissage, vient la forme définitive : château fort, corps de femme, volute de coquillage, bateau ivre, ou rien du tout, un tas de sable informe, qu’un enfant détruira d’un coup de pied ou sur lequel quelqu’un viendra s’asseoir.